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 Norah Lange par Livres-Addict.fr 

"Cahiers d'enfance" de Norah Lange (éd. Christian Bourgois)

image_enfanceLes souvenirs d'enfance de Norah Lange sont des vitraux découpés à même le gel. Ils brillent, scintillent et se détachent avec une précision inouïe. Chaque détail est d'une netteté tranchante, un trait pur et sans repentir.

Cela, qui émerge, se passe en Argentine au début du XX° siècle mais cela pourrait se produire à peu près n'importe quand et sous n'importe quelles latitudes tant ce qui importe ce n'est pas l'inscription dans le temps et dans l'espace mais l'essence même de l'enfance que Norah Lange ressuscite avec une éblouissante maestria doublée d'une économie de moyens impressionnante. Et ce qui saisit, c'est que chaque page est d'une portée universelle et cependant le regard qui sévit est d'une singularité totale, d'une singularité telle qu'on prend conscience de n'avoir jamais rien lu d'équivalent auparavant.

Le texte est composé de brèves séquences, découpes lapidaires, mémoire lamellisée. On entre abruptement, comme dans un bain d'eau froide, dans une scène restituée avec une précision implacable. La plupart du temps la narration débute par un "Elle" (plus rarement "il") indéfini dont l'identité se précise ou non à mesure que la scène se déroule, que le portrait se déploie ou se cisèle. Bien sûr, il est question des proches, des très proches de Norah : sa mère, son père, ses cinq soeurs, son unique frère mais aussi les gouvernantes, les bonnes, les voisins... Peu à peu, les spécificités de chaque soeur se dégagent et saillent : il y a Irène, l'aînée, l'éclatante, la radieuse, la souveraine irréprochable qui aimante et impressionne, il y a Martha, la frondeuse, l'enragée, l'alternative, puis Georgina la douce, la vaporeuse, la fragile, si méticuleuse et Esthercita la prématurément disparue et enfin Susanna, si proche de la narratrice qu'elle ne se distingue quasiment pas d'elle. Il y a, certes, une progression temporelle linéaire et il y a aussi la classique évocation des événements marquants, des drames fondateurs : l'enfance insouciante à Mendoza jusqu'à la mort du père qui motive une autre fracture, à savoir le déménagement, l'installation à Buenos Aires, très rapidement suivie de cette secone tragédie que fut le décès précoce de la benjamine des soeurs.

En dehors de ces grandes lignes bien rectilignes, Norah Lange ne sacrifie aucunement aux codes de la narration conforme. L'enfance, pour elle, ce sont surtout des sentations et c'est la perception des visages aimés, des êtres chers mais perçus sous un angle tel qu'ils portent la signature inaliénable de l'artiste et ne paraissent probablement familiers qu'à elle seule. Tant son regard prélève dans le réel des fractions insolites, du pur inattendu.

Il y a par exemple beaucoup de place accordée aux très fréquents et très obsessionnels rites conjuratoires et propriatoires, une attention extrême portée aux jeux d'ombre et de lumière et à tout ce qui, de manière générale, relève du visuel. Il est question aussi des sons qui acquièrent une valeur hypnotique et suscitent terreur ou envoûtement. Et puis on assiste à toutes les tractations et négociations auxquelles l'enfant se livre, accomodements intimes pour rendre le monde pliable et le réel habitable.

Il y a aussi des pensées tout à fait spécifiques que la jeune Norah nourrit, devenues talismaniques et  ne souffrant aucune remise en cause. Elle est par exemple convaincue que le degré de féminité se mesure au degré de faiblesse, de fragilité, à l'aptitude à s'alanguir, se décolorer, s'évanouir voire s'évaporer.

Ou alors il y a le rapport précocement passionnel au langage, aux mots qui la fascinent d'abord et exclusivement dans leur aspect purement typographique. Puis qui à l'adolescence, deviennent mantras martelés et offensifs, force de frappe, arme de destruction massive. Tout cela est écrit au cordeau, ciselé dans une langue suprêment sèche, tendue, acérée, qui claque comme un coup de fouet.

Une vraie rareté. Un poème de givre..

BH 11/09

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