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Heather Lewis par Livres-Addict.fr 

 "Attention" de Heather Lewis (P.O.L)

AttentionVous qui franchissez le seuil de ce livre, abandonnez tout espoir. Préparez-vous à une plongée en apnée sans remontée aucune. Vous allez connaître une asphyxie progressive qui produit paradoxalement un effet de fascination et même d'hypnose. Lire ce livre équivaut à prendre une drogue violente : on est mal mais on est envoûté, on ne peut le lâcher.

C'est un minutieux dépeçage, la scrupuleuse restitution d'une descente dans un enfer (qui est d'abord un enfermement) mental.

On est immergé sans prévenir et sans ménagements dans l'intériorité distordue d'une jeune prostituée. Après son "travail" officiel (jamais défini), elle fait des passes sur un parking. Très vite, elle rencontre un homme "différent" à ses yeux qui exerce sur elle une fascination immédiate et qui, après quelques séances déjà scabreuses, l'emmène chez lui dans le but de la présenter à sa femme. La femme en question est belle et triste, elle s'appelle Ingrid et la narratrice ne tarde pas à éprouver pour elle, en plus du désir, une forme d'amour trouble. Le trio étant formé, on entre dans une spirale sadomasochiste qui ne semble pas devoir connaître de limites. L'homme inflige à la narratrice des sévices d'une cruauté suffocante. Il la somme de revêtir les vêtements de sa propre fille dont elle apprend plus tard qu'il lui réservait le même genre de traitements que ceux qu'il destine désormais aux prostituées et qu'elle en est morte. La narratrice, bien qu'horrifiée, est captivée par ce couple luciférien, elle s'installe chez eux à demeure et ne parvient à s'arracher à leur étreinte funeste qu'après des semaines et des semaines de tortures dissolvantes. 

Après son départ, l'emprise de cet homme sur elle perdure de même que son empreinte s'incruste. Elle en prend conscience quand elle est jetée en prison, elle comprend immédiatement que c'est lui qui est à l'origine de son incarcération. Elle fait alors la connaissance d'une psychologue, Beth, qui lui porte un très vif intérêt et semble vouloir lui venir en aide. Grâce à Beth, en effet, la narratrice sort de prison et, il se noue entre les deux femmes une relation des plus étranges faite d'invites, de contacts tactiles furtifs, puis appuyés mais ces rapprochements qui paraissent toujours fortuits sont assortis de retraits, de replis, de volte-faces, d'aveux partiellement formulés puis retranchés... L'attirance initiale se transforme en une liaison qui est à la fois passionnelle et vécue en pointillés car la narratrice ne sait jamais dans quelles dispositions elle trouvera Beth le lendemain ni surtout dans quel état elle sera elle-même et si elle se sentira de taille à rencontrer cette femme aimée. Les face à face avec Beth sont en effet vécus comme un danger suprême peut-être parce qu'ils représentent une éventuelle issue au cauchemar. Beth la sonde, cherche à savoir ce qu'elle a traversé, d'où vient qu'elle abrite tant de ressorts cassés et la narratrice, maintes fois sur le point de se livrer, de décharger de ce qui l'obstrue, se rétracte toujours au dernier moment. Entre les deux femmes, le langage, qu'il soit gestuel ou verbal, est ligaturé, forclos. Tout évolue par saccades opaques, par embardées aussi insondables que les esquives subséquentes.

A la fin, l'homme démoniaque que la narratrice redoute mais dont elle désire secrètement le retour, remet indirectement la main sur elle. Il lui dépêche deux petites frappes qui, dans une scène où l'horreur culmine, lui font découvrir les confins de la cruauté.

Mais cette horreur-là est peut-être dépassée par la suite lorsque, rendue à elle-même et sûre que le démon en a désormais fini avec elle; elle le déplore car il va lui falloir trouver quelqu'un d'autre pour lui prodiguer la mort qu'elle n'ose se donner...

C'est un livre d'une noirceur peut-être insurpassable, un livre dont l'étrangeté et la complexité envoûtent. On a le sentiment de n'avoir jamais rien lu de pareil. Du reste la narratrice a souvent l'impression de chuter dans "un endroit" en elle qu'elle ne connaît pas (ou qui lui est trop familier) ce qui la précipite dans la plus pure panique.

Les scènes de sexe sont nombreuses et on ne peut plus crues et cependant le style reste, d'un bout à l'autre, absolument cérébral.

Chaque mouvement de la pensée est décomposé, on est dans un univers psychique démantibulé; les émotions sont tranchées, lamellisées, traitées au scalpel comme s'il fallait ce dédoublement psychotique pour survivre. La confusion mentale et la précision chirurgicale s'allient pour créer un style saisissant, à nul autre pareil.

Est-il utile de préciser que l'auteur s'est suicidée à 40 ans ?

De la douleur à l'état pur.

Et , dans le genre, une manière de chef-d'oeuvre.

BH 12/07

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