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Benjamin Markovitz par Livres-Addict.fr 

 "De l'autre côté de l'hiver" de Benjamin Markovitz (Phébus)

cotedelhiverC'est un roman qui n'a l'air de rien. Facture classique, écriture lisse (quoique raffinée), personnages assez stéréotypés, procédé éprouvé (4 parties, 4 personnages, chaque partie étant dédiée à l'une des figures qui intervient, satellisée, dans la partition des trois autres).

Rien de novateur, donc et pourtant quelque chose. Quelque chose mais quoi ? Quelque chose qui agit comme un charme, un parfum entêtant. L'écriture, élégante, aérienne, frôle mine de rien des abîmes et se diffuse dans les veines comme un alcool traître qui provoque une douce ébriété ...

La structure, pourtant, est presque grossière : à chaque personnage correspond une saison et chaque partie constitue un récit autonome, une sorte de nouvelle et, conformément aux codes de la nouvelle, le protagoniste est saisi dans un moment de son existence qui est à haute teneur dramatique et dramaturgique.

Le roman se déroule à Manhattan. Il a pour point de ralliement, pour centre névralgique un lycée. Les quatre personnages sont donc liés les uns aux autres, leurs destins se télescopent avec plus ou moins de violence et de conséquences. 

Voici d'abord l'automne dédié à Amy, jeune professeur de biologie, débutante frêle et craintive dont on suit les balbutiants premiers pas. L'accent est mis non pas sur ses premières passes d'arme avec ses élèves mais sur le face à face, qu'il lui reviendra d'orchestrer, entre son tout récent amant - un jeune héritier avantageux - et ses parents venus lui rendre visite dans la ville-monstre. En apparence, il ne se passe presque rien : quelques dérapages, des exaspérations, des éraflures, des crises de larme ... mais l'auteur observe au microscope ces ridicules qui troublent la surface, il parvient à nous faire toucher du doigt les émotions orageuses des personnages. Un détail infime les bouleverse, ils opèrent des glissements vertigineux, ils dérapent et tombent dans l'abîme à partir d'un rien et leur détresse prend corps chez le lecteur.

Voici maintenant Howard Peasbody l'homme de l'hiver, biologiste lui aussi, mais chevronné, collègue d'Amy, homosexuel dandy, supérieurement intelligent et supérieurement désabusé, volontiers corrosif qui devra faire face à la révélation tardive de sa paternité.

Puis Stuart Englander, rubicond et sentimental professeur de littérature que nous amène le printemps, personnage légèrement pathétique, complexementlié à Howard Peasbody, assoupi dans un mariage fatigué et subitement aimanté par l'une des élèves, la ravissante et mutique Rachel Krantz.

Enfin, Rachel elle-même que l'été nous dévoile aux prises tant avec les fantasmes de Stuart (et les siens propres) qu'avec la mort de son père.

La grande réussite de ce roman tient dans une série de paradoxes : tous les événements prétendument décisifs, pointés comme tels dans la conscience collective, se résolvent dans un aplanissement, une extinction sans lendemain. En revanche, la moindre vibration de l'âme est étudiée de très près et prend des proportions démesurées. C'est cette inversion des priorités, des hiérarchies établies qui crée la surprise et, très vite, la fascination. Le frémissement, le frisson, la ténuité l'emportent sur l'artillerie, l'infime sur le spectaculaire. De même la qualité et l'intérêt de l'écriture reposent sur un retournement : le style est étale, d'une élégance détachée et sans jamais se départir de sa légèreté, il capte chaque remous, chaque palpitation avec une efficacité redoutable. Pas d'effets, pas d'emphase mais une grande subtilité, une vive sensibilité qui revêt les atours de la froideur, une empathie générée par la distance et la maîtrise et une complexité habillée de sobre et de simple. Ce récit déroute et rafraîchit, il aiguise le regard et invite à réviser les positions acquises. C'est plutôt très fort pour un texte qui s'avère être un premier roman. Etonnant et prometteur (selon la formule consacrée ...)

BH 08/07

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