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 Giulio Minghini par Livres-Addict.fr 

"Fake" de Giulio Minghini (Allia)

image_fakeGiulio Minghini est un explorateur des temps modernes, un moraliste qui avance masqué, un fin limier qui nous conte les mésaventures de son double lequel s’est pris dans les rets d’une nasse qu’il pensait contrôler.

Son texte est un vertige, une transe contemporaine, un cauchemar qui vire et se développe à bas bruit.

Au commencement, le narrateur végète, étrillé par une rupture amoureuse qui l’a laissé sur le flanc. Sur les recommandations d’une amie pleine d’inquiète sollicitude au vu de son  déclin, il s’inscrit sur un site de rencontres qui porte l’attrayant et peu offensif titre de « pointscommuns ». Ce site, il l’investit d’abord en observateur détaché et narquois, il pointe le conformisme et la conformité de ses membres qui présentent tous le même profil, à savoir intellectuels de gauche outrageusement « boboïsés » et affichant des goûts terriblement calibrés. Il stigmatise aussi la présomption, les risibles prétentions artistiques de ces distingués personnages. Il ne se borne cependant pas à vilipender, il marivaude aussi, joue de sa vélocité intellectuelle, de ses ressources verbales pour ferrer ses proies et consomme. Une fille par soir ou presque. Une ronde rondement menée. Echauffements sanguins, échauffourées muettes,  frictions charnelles qui n’ouvrent sur rien. Nul horizon, nulle lueur. Et bientôt les historiettes et galipettes entre esprits consanguins lassent notre héros. Il décide alors de passer à l’échelle supérieure. Il répudie « pointscommuns » pour élire « meetic », site ouvert à tous vents, visité par une foultitude d’individus sans que soit requis aucun profil particulier. Là, les possibilités deviennent exponentielles, atomiques et notre homme s’en saisit, pas seulement pour multiplier les rencontres mais aussi pour se démultiplier lui-même : il crée d’innombrables « fakes » ou profils fallacieux à l’aide desquels il piège de nombreux image_minghiniinternautes, hommes ou femmes indifféremment, par le fantasme (habilement conçu) alléchés. Mais le mystificateur n’en sort pas indemne, il paie de sa personne, chèrement. Il devient d’abord captif de sa propre pratique : démiurge captif de sa retorse créature, happé par une spirale qui l'aspire, il consacre tout son temps à se recréer virtuellement si bien que la nuit mange le jour et que son corps, morbidement rongé par la fatigue et par les conditions taupinières qu’il lui impose, se détraque. Pour couronner le tout, le manipulateur se fait manipuler. Il fait la connaissance de Jade, archétype de femme fatale, fascinante, vénéneuse et incaptable, allumeuse sans scrupules qui le met au tapis, faisant de lui un mendiant mordu et transi qui sollicite l’aumône de quelques miettes.

Une figure se détache au milieu de tous ces portraits plus horrifiques les uns que les autres, celui de Catherine, femme sensible, attentive, atteinte d’une maladie incurable et avec qui le narrateur va nouer une relation délicate. Cette femme-là dégage une douce lumière, c’est la seule.

Ce récit se reçoit comme un uppercut. Radioscopie d’une dissolution, d’une perdition annoncée, il se lit d’un trait et laisse sur le flanc, étourdi et hagard. Mise en garde on ne peut plus efficace contre les dérives que génèrent les sites de rencontre, contre l’usage addictif et aliénant que l’on peut en faire, « Fake », écrit sur la crête d'un phénomène émergent, nous emmène au fil  d'une langue décapante et crue, dans une tonalité cynique et cinglante qui récuse toute pause, tout temps mort et interdit de reprendre son souffle. Une réussite de premier ordre.  

BH 03/09    

Retrouvez également l'interview de Guilio Minghini par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs. 

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