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 Christine Montalbetti par Livres-Addict.fr

"Journée américaine" de Christine Montalbetti (P.O.L)

Dans "Journée américaine", Christine Montalbetti nous joue encore un des tours pendables dont elle a le secret. Elle se joue de nous mais avec une grâce si virtuose et un sens si consommé, si étincelant de la facétie qu'on serait malvenu de lui en tenir rigueur et qu'on en arrive même à désirer être plus souvent abusé et floué d'une façon si jubilatoire. Encore une fois, Christine Montalbetti ne se contente de s'amuser des codes et des clichés, elle ne se borne pas à broder des variations autour de figures éprouvées et de thèmes éculés.

image_montalbettiAprès avoir tiré ces fils, elle déroule un écheveau bien à elle, suit son propre cours, compose sa partition et surtout, invente cette musique et cette musicalité singulières à quoi on reconnaît les vrais créateurs.

Il est question, donc, semble-t-il, de capter l'essence de ce que serait une "journée américaine". Et les forces en présence paraissent bien de taille à relever ce défi puisqu'il y a là un campus, deux étudiants et personnages principaux qui répondent aux noms de Donovan et Tom Lee, de longues virées "sur la route", des stations prolongées sur la pelouse du campus, des matches d'"American football", un ranch, Amy, May, Jane et Laura Burn, jeunes filles en fleurs et réservoirs à fantasmes, autant d'éléments qui éveillent en nous des réflexes pavloviens et nous placent en terrain familier.

Seulement voilà, mademoiselle Montalbetti dédaigne tout à fait de dérouler une intrigue, de camper fermement les personnages, elle s'octroie royalement la liberté de digresser sur les états d'âme des moustiques pendant les parties d'american football et nous voici très vite mis au parfum, très tôt affectés par ce parfum d'étrangeté qui sévit dans chacun des textes de ladite demoiselle.

Ainsi, on suit des évolutions périphériques, et, par rappport à l'action proprement dite (si tant est qu'on peut encore parler d'action), parfaitement superflues. Par exemple la révolution des nuages et les infimes variations du ciel américain. Les fragiles et précieuses sensations qui accompagnent la formation d'une amitié nouvelle et la manière dont le temps agit sur cette amitié et la doue d'une épaisseur pulpée.

Et il y a aussi ces parfaites incongruités : notre auteur s'autorise sans vergogne à divaguer sur les hypothètiques pensées qui traversent le cortex de Robert, l'efflanqué et circonspect canasson de Tom...

Tous les personnages ont quelque chose d'ethéré, ce sont d'incertaines et vaporeuses silhouettes (qui traversent le texte bien plus qu'ils ne le dirigent) mais certains sont carrément de pures hypothèses, telle cette obsédante Linda Burn, produit de rumeurs avinées et dont l'auteur explore, avec une délectation assumée, les déclinaisons possibles.

Mais il y a aussi les objets et, à la beuglante interrogation lamartienienne ("Objets inanimés, avez-vous donc une âme?"), Christine Montalbetti répond sans sourciller par l'affirmative puisqu'elle prête, par exemple à un rond de serviette, des tourments quasi métaphysiques...

Tout cela est bien sûr affecté d'un fort coefficient de ludisme et d'enfantine espièglerie et on pourrait donc conclure à une sorte de vaste canular (le lecteur étant en outre régulièrement, et très durassiennement pris à partie) si l'on n'était retenu à chaque page par la délicatesse et la complexité extrêmes des descriptions ainsi que par leur précision millimétrique.

Car le but ultime de Christine Montalbetti semble bien être d'interroger jusque dans leurs ramifications les plus ténues les états qu'elle met en scène. Et c'est un art dans lequel elle s'illustre avec une intelligence qui est à couper le souffle: elle capte, notamment, et restitue avec une rare maîtrise les fluctuations de l'être, les intermittences du coeur et, il y a là un haut degré d'abstraction qui, étrangement coexiste avec une réelle et profonde sensualité.

On a, en somme, à faire à de la littérature à l'état pur, chose qui n'est pas si courante et qui procure un plaisir proportionné à la performance.

BH 12/10

"Petits déjeuners avec quelques écrivains célébres" de Christine Montalbetti (P.O.L)

image_montalbettiChristine Montalbetti est une rouée qui nous balade et nous égare avec une souriante virtuosité.

Son texte est tout entier une promesse non tenue qui opère par glissements et réalise cette acrobatie de muer l'inaugural et superficiel sentiment déceptif en émerveillement. Car elle nous initie et nous convertit à ce que nous n'attendions pas et qui s'avère autrement plus stimulant.

Le titre est prometteur qui nous convie à des "petits déjeuners avec quelques écrivains célébres" et donc, semble-t-il, et ainsi que renchérit la quatrième de couverture, à "quelque chose de doucement people". Quelque chose, subséquemment, qui aimante et réveille la commère en nous, quelque chose qui excite et fouette la curiosité. Et le candide lecteur de s'attendre benoîtement à quelques révélations de premier ordre sur ces insondables et magnétiques animaux que sont lesdits écrivains.

Car un repas partagé et, qui plus est, le petit-déjeuner, au sortir du sommeil et toutes défenses abolies, n'est-il pas l'observatoire propice pour débusquer le caché, les secrets enfouis ?

Or, non seulement nous n'aurons droit à aucune "anecdote croustillante" (ce qui est bien le moins) mais nous n'apprendrons quasiment rien de significatif sur ces personnages avec qui Christine Montabeltti a partagé des heures matutinales et quelques vivres et cela parce que, en vérité, c'est en tant que personnes qu'elle les appréhende.

image_montalbettiEt c'est dans ce déplacement inattendu que se fomente tout le miel et le sel du récit. Car ces rencontres deviennent pour l'auteur l'occasion de scruter ses propres sensations, ce qu'elle fait avec une acuité et un art de l'acrobatie quasi magiques.

Ainsi, dans le tête à tête avec Jean-Philippe Toussaint, ce qui retient son attention, ce sont les formes successives que rêvet l'étrange lassitude qui saisit nos deux écrivains.

Au Croisic, avec Laurent Mauvignier et son épouse, elle s'attache à la géographie des lieux, laquelle, immédiatement, se fait intime, appelant en écho d'autres lieux que la mémoire déplie, d'autres jeux de lumière et infimes vibrations.

Les instants partagés avec Anne F. Garréta, dans une villa également en bord de mer,  invitent l'auteur à soulever quelques lièvres on ne peut plus personnels puisqu'elle évoque un autre séjour, une autre villégiature, scandée par les éclats d'une vive querelle amoureuse, morsures apparentes d'une relation turbulente, essentielle, dont les empreintes sont fichées au plus profond. 

Avec Tanguy Viel, Christine Montalbetti se découvre une vraie fraternité et remonte aux racines, aux sentiments de l'enfance cependant qu'à la Baule, toute son exploration s'articule autour de l'absence d'un écrivain désiré et vainement attendu.

Enfin, elle se livre à de longues variations autour des mains l'Olivier Cadiot et des singulières chorégraphies qu'elles exécutent et finit de nous abuser complètement en inventant, avec Eric Laurrent et Haruki Murakimi des petits déjeuners qui n'eurent jamais lieu.

Ce qui fascine, dans ces récits successifs, c'est, outre l'élégance sophistiquée de la langue et les plongées vives dans une mémoire quasi proustienne, l'approche résolument oblique qui, de glissements en dérapages contrôlés, nous fait les archéologues (et entomologues d'une minutie presque infernale) des sensations les plus ténues.

Une extrème sensibilité est à l'oeuvre ici, alliée à une précision admirable mais qui ne se départit jamais d'un humour tout en finesse, d'une ironie presque canaille et d'adresses badines au lecteur lesquelles achèvent de dérouter ce dernier, de le déporter là où il n'escomptait pas aller.

Une écriture neuve et libre.

BH 11/10

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