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Sarah Neiger par
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"Le devoir du soldat" de Sarah Neiger (Le préau des collines)
C'est
un texte d'urgence absolue. Ecrit comme on crache, comme on crie ou
comme on tente, éperdu, de reprendre souffle alors que l'on se noie. Un
texte comme un jet de pierres, un lancer d'arbalète, et qui percute
plein coeur.
A travers des phrases mitraillées, catapultées, c'est une femme qui, progressivement, reprend possession d'elle-même, de sa vie longtemps confisquée.
Ce sont les fragments arrachés d'une enfance massacrée, d'une jeunesse vacillante, titubante, funambulesque, en équilibre instable sur un fil transparent et spéculaire, infiniment déchirable et qui, plusieurs fois, se rompt.
Au fil de cette quête carnassière et autophage, on croise, dans le désordre, d'abord la mère, figure centrale et d'autant plus obsédante qu'elle fut prématurément emportée par un cancer et qu'elle était détentrice de secrets inavoués sur sa fille doublement marquée car bâtarde et juive. Cette absence et ces vérités spoliées constituent la béance fondatrice.
Il y a aussi le beau-père, étranger et granitique, le père rencontré à 14 ans seulement et qui est d'une ébouriffante nonchalance, les amours toujours placées sous le signe de l'impossible ou de la tragédie. Et les amis et complices journalistes, reporters car la quête de soi épouse longtemps, pour Sarah Neiger, la ligne d'une fuite effrénée vers l'ailleurs. Et il y a aussi, point d'orgue, de convergence et de conciliation briguée, les séances avec "le Grand Autre", le psychanalyste en charge d'ordonner tout ce chaos.
Il y a des scènes saisissantes et poignantes telle celle de la rentrée des classes où Sarah adolescente doit encore modifier une identité déjà flottante et assumer, aux yeux du monde et de ses condisciples interloqués, un nouveau patronyme. Ou alors cette commotion par ricochet quand Alexis, son amoureux de jeunesse revenu du coma, déclare une amnésie durable, peut-être chronique, et qu'elle se retrouve seule (et poignardée) dépositaire de tout leur passé commun, seule à devoir et pouvoir porter des années d'amour effacées de la mémoire de l'aimé... Ou encore toutes les fois où, chez Sarah, l'autodestruction prend le dessus parce que personne ne l'assure suffisamment qu'elle a le droit d'exister.
Et, entre les drames intimes, la course frénétique à travers le monde, les longues et assidues explorations de l'Asie, continent élu, territoire de coeur, et la prise en plein corps des cataclysmes publics, des tragédies qui touchent un peuple entier. Comme si les secousses sismiques qui affectent le corps de toute une population avaient le pouvoir d'effacer les fractures intimes ou du moins d'atténuer leur force de percussion.
Et tout est proféré dans un présent haleté, canardé, cavalcadé, à bout de souffle et d'une force déracinante.
Un texte nu, saignant, bouleversant comme une naissance.
BH 07/12