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Nick Flynn par Livres-Addict.fr 

"Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie" de Nick Flynn (Gallimard)

flynnpourrieC'est un exercice de prestidigitation effectué à l'aveugle. Il s'agit de faire apparaitre le père inconnu, absent, de brosse par touches incertaines un portrait dont les contours et même le motif central sans cesse se dérobent.

C'est un récit, non un roman et l'histoire est d'autant plus ahurissante qu'elle est vraie. Le père s'est évaporé durant l'âge tendre de l'auteur, père et fils se croiseront brièvement quelques années plus tard avant de se retrouver alors que l'auteur, déjà adulte, travaille dans un foyer de SDF et que le père, lui, est devenu clochard.

Le père est un imposteur, un truand à la petite semaine mais c'est surtout un mythomane tendance mégalomaniaque, option paranoïaque, qui se prétend écrivain adoubé par les plus prestigieux de ses pairs et qui assure travailler à un chef-d'oeuvre impérissable. Le plus troublant c'est que le fils, durant ses années de formation et alors qu'il ignore tout de ce père-fantôme, s'emploiera à marcher sur ces traces : il optera pour une vie déstructurée, se dissoudra dans l'alcool et la drogue et surtout il entreprendra de devenir écrivain. Comme si la filiation cherchait, par des voies obscures, impénétrables, à se manifester malgré tout. Comme si les lois du mimétisme s'appliquaient en l'absence même de tout modèle et imposaient leur éclatante suprématie en se riant de la disparition physique. Comme si de mystérieux commandements régissaient les liens du sang. Comme si le fils prenait en charge, par une opération secrète, une sorte de gestation inversée, le corps effacé du père.

A travers une chronologie éclatée, Nick Flynn rend compte de ces étranges connexions. Mais commet serrer au plus près cette inconcevable vérité ? L'auteur s'essaie à tous les genres, il emprunte toutes les voies - et toutes les voix - qui lui sont connues.

Le texte, parce qu'il se cogne à l'indicible, tente tous les stratagèmes pour capter un peu de matière vive, exhumer un peu de vérité. Il revêt tour à tour les formes du dialogue dramaturgique, de l'outrance burlesque, de la scénographie fantasmagorique, du recensement journalistique, de la sèche énumération des faits et même du classique récit autobiographique. Mais aucune forme n'élucide l'énigme ni épuise le scandale.

Le père, à la fois figure truculente, rabelaisienne et personnage retors, tyrannique, affabulateur voire carrément délirant, le père qui s'était volatilisé laissant femme et enfants sans nouvelles ni ressources, impose à son fils, dès sa réapparition une présence pour le moins pesante.

Cet homme ressurgi sous les traits d'un clochard est une plaie qui gangrène la vie de son fils. Ce père, misérable monument d'égoïsme, monstre pathétique, le fils l'aide autant qu'il le peut et il l'abandonne autant que le lui commande son instinct de survie.

 Les retrouvailles entre père et fils sont cocasses et poignantes, elles relèvent du grotesque et du tragique. L'émotion monte graduellement. Ce texte est un tour de force et pas seulement littéraire : il réussit l'exploit d'être bouleversant sans jamais tirer sur des ressorts sentimentaux.

BH 10/07

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