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Zoé Oldenbourg par Livres-Addict.fr 

"Les irréductibles" de Zoé Oldenbourg (Gallimard)

oldenbourgC'est un roman empreint d'une étrange grâce, d'une mélancolie rageuse, d'un élan déceptif, d'un emportement blessé, désabusé. Le récit, très ancré dans l'époque qu'il restitue est traversé de thèmes sans âge et il rejoint l'intemporel.

Au début nous suivons pas à pas un home et sa difficile réimmersion dans sa ville, Paris, dans sa vie volée en éclats et désormais privée de contours précis. Nous sommes en 1947. L'homme s'appelle Elie, il n'a pas tout à fait 30 ans et il vient d'en passer sept en captivité. Durant tout ce temps, la pensée ne l'a pas quitté de Stéphanie une jeune femme qu'il a éperdument aimée. Ils étaient unis dans la ferveur éblouie et douloureuse d'un premier amour contrarié. Elie espère renouer avec celle qui le hante toujours mais il atermoie et diffère le moment des retrouvailles. Il balise son resurgissement, évolue par degrés, dose scrupuleusement les chocs affectifs. D'abord la famille inévitable, puis les amis. L'embarras est chaque fois au rendez-vous car les autres sont engagés dans une vie bien quadrillée quant lui arrive désamarré, parachuté et porteur de vide.

Il trouve finalement le courage de revoir Stéphanie. Il est saisi. Cette jeune femme brune, maigre, magnétique, aiguë, anguleuse de corps et d'esprit n'est "ni tout à fait la même ni tout à fait une autre", elle lui apparaît inchangée et cependant profondément altérée. Elle a un enfant, une fille, Lisbeth, âgée de six ans dont il apprendra qu'il est le père. Elle a renoncé à lui par fidélité à son père, juif, mort en déportation, qui réprouvait leur relation. Elle vit dans une grande proximité avec Aron, un peintre nettement plus âgé qu'elle qui jouit d'une assez grande renommée et elle peint elle-même. Elie ne se sent pas le droit de s'immiscer, de bousculer encore sa vie. Il fait de timides apparitions pour se familiariser avec sa fille, jeune walkyrie, petite personne étrangement libre, accoutumée à la solitude et à se construire sans l'aide de personne. Elie erre en quête d'insertion, d'appartenance. Il s'essaie au militantisme, rallie une faction communiste pour prolonger la ferveur et les belles heures de la résistance. Mais là encore, il s'avère qu'il est trop désancré, trop distinct du troupeau et son étrangeté le disqualifie. Il tente simultanément une autre diversion, se lançant à corps perdu dans une liaison avec Madeleine, belle femme vibrante et amie proche de Stéphanie. Il se croit guéri de cette dernière et trop respectueux de ses blessures, de sa détermination, de son statut de mère et d'artiste pour la considérer autrement que comme l'icône intouchable d'un amour révolu. Jusqu'au jour où il apprend qu'entre Aron et elle, l'amour longtemps latent, suspendu, a été consommé. Aussitôt, la jalousie le brûle et l'amour aussi. Tout se réamorce et prend feu. L'incendie est gigantesque, ravageur. Stéphanie apparaît de nouveau à ELie, interdit par sa propre naïveté, son aveuglement et ce qu'il regarde désormais comme sa couardise, comme une femme possible. Et il va la vouloir avec fureur, il va la vouloir à mort.

De son côté, Stéphanie, jusque là farouche oiseau plus migrateur que nidificateur, se découvre auprès d'Aron une vocation d'amoureuse oblative. Elle est prête à lui dédier sa vie entière. Les premiers temps sont idylliques tant qu'Aron est au diapason mais très vite la peinture se rappelle à lui, le requérant plus que l'amour et Stéphanie qui pratique son art avec timidité, sans croire sérieusement à ses dons mais qui a, en revanche, engagé toutes ses forces dans ce nouvel amour, apprend à patienter, subir, souffrir, mendier, se taire et elle s'étiole doucement. Ainsi s'entrecroisent les trajectoires heurtées d'individus en quête d'un absolu qui les gouverne.

A la fois chronique de l'après-guerre, saisissante découpe de destins singuliers, portraits sensibles, pénétrante des rapports entre hommes et femmes, entre l'art et l'amour, "Les Irréductibles" est un roman foisonnant et nourricier qui distille des émotions violentes dans l'écrin d'un style incisif et acéré. On se délecte de l'écriture sans pareille de Zoé Oldenbourg, une écriture serrée, tenue, prise dans un rythme alerte, toute de déroutes, de syncopes, de dialogues tranchants et elliptiques. Un régal méconnu à redécouvrir d'urgence.

BH 05/08

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