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 Anna Maria Ortese par Livres-Addict.fr

"La lune sur le mur" d’Anna Maria Ortese (Verdier)

Chez Anne Maria Ortese, tout est interstitiel. Les choses sont entre les mots et les mots se déploient et se posent très en avant des choses. Et dans les intervalles brillent, palpitent et frémissent des ondes d’une délicatesse et d’une sensibilité inouïes. On ne saurait dire s’il s’agit d’émotions, de sensations, de sentiments ou d’une vibration dont le caractère impersonnel, indécidable ne saurait se réduire à une émanation subjective et prendrait, de ce fait, un tour presque objectif. Ce qui est sûr, c’est qu’on se trouve face à une forme d’amour et que cet amour est si pur qu’il étreint et bouleverse continûment.

Voici un frère et une sœur qui, s’apprêtant à déménager, doivent faire face au sentiment de la perte, à des deuils multiples et conjugués. Quittant la maison familiale, ils délaissent un lieu symbolique, celui qui cristallisait leurs idéaux de jeunesse désormais effrités. Ils se prénomment Antonio et Masa et, le temps de dégager les lieux, sont assaillis par des salves, des bouffées d’un passé qui les poigne. Outre l’effondrement des utopies communistes, ils revivent la disparition des proches et, surtout, la défection d’un ami très cher qui fut pour Masa la terne, l’ingrate, la promesse non tenue d’une vie éblouie, une vie un instant entrouverte, infiniment scintillante et qui s’est inexorablement refermée. Une mélancolie profonde imprègne ces pages qui pourtant sont aussi empreintes et soulevées par l’amour presque surnaturel qui unit le frère, par la bonté et la compassion insensées qu’Antonio déploie en faveur de Masa. Et rien n’est dit mais tout passe au travers de gestes infimes, de pensées à peine articulées, de ténuités infiniment subtiles.

Voici, également, un jeune homme qui fait halte, le temps d’une nuit, chez sa tante laquelle perçoit le désemparement voire la détresse de son neveu mais échoue à l’exhausser en dépit de toute l’empathie que, maladroitement, elle témoigne.

Voici encore une jeune femme enceinte et privilégiée, richement dotée à tous points de vue et qui, le temps d’une foucade, s’éprend vivement d’une serveuse rude, rêche, massive, déshéritée. Cependant, cet engouement n’aura pas la force et la persistance nécessaires pour embrasser le malheur de ladite serveuse lorsque celle-ci sera frappée.

Dans un autre récit, la narratrice, tétanisée par le voyage à Londres qu’elle doit effectuer, voit son anxiété fondre face à un anglais, pourtant passablement étroit et égoïste, mais dont la singularité la ravit.

Enfin une autre narratrice (ou la même?) éprouve elle aussi un ravissement, et des plus violents, devant une jeune fille miséreuse qui figure à ses yeux l’innocence et dont la présence diffuse une candeur et une pureté bouleversantes. Cette jeune fille disparaît abruptement comme ravie, justement, spoliée et c’est alors que la narratrice fait une étrange expérience : elle retrouve cette même qualité d’âme, cette même pureté mais comme translatée et déportée dans la personne d’une jeune new-yorkaise ingénue.

Et tout se tient, fragile, dans le tremblement de l’impalpable et de l’impondérable.

« Dieu gît dans les détails » et les textes d’Anna Maria Ortese l’attestent continûment.

Par la grâce de l’écriture, cette grande dame méconnue transfigure personnages, lieux, moments et situations. Tout fait signe vers un au-delà, tout ouvre sur une dimension céleste.

Et, dans le même temps, on fait l’expérience d’une bonté efficiente, d’une bonté immanente qui agit et bouleverse dans le présent absolu de l’écriture.

Une révélation.

BH 07/12

"Mistero doloroso" d'Anna Maria Ortese (Actes Sud)

misterodolorosoC'est un texte comme une lame, aigu, tranchant mais qui est en même temps d'une qualité céleste et s'élève, tout du long, vers un point asymptotique.

Un texte qui, sous des dehors apparemment classiques et au fil d'une trame éprouvée, s'échappe et déjoue, sans faillir, sans désemparer, les attentes du lecteur.

L'intrigue semble d'une simplicité déconcertante, désarmante même : au XVIII° siècle, à Naples, Flori, une adolescente de basse extraction (sa mère est couturière) s'éprend violemment, lors d'une rencontre fortuite, d'un jeune aristocrate, le prince Cirillo, très convoité mais frappé de langueur et de mélancolie romantique et dont le coeur initialement balance (âprement disputé qu'il est) entre deux jeunes femmes de son rang.

Mais ce n'est pas l'intrigue qui ici importe. C'est le parfum. L'impalpable. L'impondérable. Et aussi la manière, singulière, insolite, infiniment subtile, dont Anna Maria Ortese approche les personnages de Flori et Cirillo. Dont elle rend compte de leur relation.

Flori est présentée comme un être qui allie une extrême ingénuité et une force tellurique dont elle ne mesure ni ne maîtrise l'impact. Elle tient à la fois de l'animal, du végétal et de la créature sainte et sacrée. Elle est tout entière instinct brut, sensibilité vibratoire mais aussi candeur et pureté surnaturelle. Du reste, elle est la proie intermittente de visions hallucinées. Elle est ailleurs, elle est d'ailleurs.

Quant à Cirillo, rongé par un vénéneux et lancinant mal de vivre, il trouve en Flori le précipité de vie et de lumière qui lui fait tant défaut et dont l'absence le tue à petit feu.

Entre ces deux-là se développe, à partir de rien, une relation sans mots et sans avenir qui est d'une singularité radicale, d'une ténuité extrême et d'une puissance atomique.

Il y a là une qualité et une hauteur d'âme qui bouleversent. Et tout l'art d'Anne Maria Ortense consiste à suggérer le miracle métamorphique au travers d'ellipses éloquentes, de phrases trouées et aspirées par un souffle divin.

Une rare beauté. Un bijou ciselé.

Un texte qui fait battre le coeur. Un enchantement.

BH 06/12

              

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