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Yaël Pachet par Livres-Addict.fr


"Ce que je n?entends pas" de Yaël Pachet (Aden)

De livre en livre, Yaël Pachet trace un territoire très singulier au sein duquel elle évolue en funambule, en spéléologue à la fois sauvage, tremblante et très sûre. Ce territoire, elle l?explore avec minutie mais aussi avec désinvolture et avec une grande liberté.

Elle est minutieuse dans ses plongées, ses excavations qui s?attachent à cerner tous les éléments qu?elle se propose d?approcher et elle est désinvolte dans son mode opératoire : elle bondit d?un sujet à l?autre, d?un objet à l?autre au gré d?embardées fantasques, au gré, surtout, d?une logique organique et des pulsations intimes qui régissent sa vie et son écriture.

Cette fois, Yaël Pachet a décidé d?investir les replis du silence, de scruter la matière même de ce qu?on n?entend pas.

La parole écrite de celle qui s?attache à saisir l?essence et les manifestations de la mutité est labile: vagabonde, ondoyante mais aussi extrêmement pénétrante et presque visionnaire parfois. C?est une parole nomade, une parole comme une eau courante, une parole qui ne craint pas les acrobaties, le grand écart, et qui fait feu de tout et spécialement des ténuités et des aspérités quotidiennes.

Ainsi Yaël Pachet s?emploie-t-elle à rendre compte de la nature, de la teneur, de la tessiture des silences qui la frappent.

Il y a le silence de ses proches, amis, aimés, collègues auprès desquels et parce que saisie d?une brusque et injustifiable logorrhée, elle s?éprouve confondue, consumée d?une cuisante honte. Aux yeux de Yaël Pachet, en effet, le silence relève d?un ordre supérieur, il entretient des liens séminaux et secrets avec la musique, avec l?écriture. Car il est l?expression d?une parole cachée, infiniment plus profonde et précieuse que la parole vive.

Il est aussi question de « l?enfant sauvage », double allégorique de l?auteur, filmé par Truffaut et de la violence et de l?injustice qui lui sont faites, à cet enfant, lorsqu?il s?agit de lui extorquer une parole articulée, policée.

Et puis il y a une petite fille, réputée pour sa turbulence, son caractère bouillant, ingouvernable et que l?auteur saisit, mutique et immobile, happée et presque foudroyée par une lecture qui l?hypnotise.

Et il est toute une partie du texte qui interroge le processus d?enregistrement des voix. Car, pour l?auteur, le silence a partie liée avec la musique et la musique elle-même a des accointances avec la mort dans la mesure où les enregistrements sont aptes à ressusciter "l' inflexion chère des voix qui se sont tues ».

Aussi croise-t-on Pantagruel qui « aimerait entendre un enregistrement des paroles de Platon ou encore le chant d?Orphée" mais aussi le poète Charles Cros qui rêva d?inventer le phonographe, désir que le malheureux Scott de Martinville réalisa partiellement mais échoua à rendre effectif et efficient.

A lire ce texte, ce qui frappe plus encore que la fascination obstinée de Yaël Pachet pour le silence et les voix enfuies, c?est « la difficulté d?être » qui affleure sans cesse et imprègne chaque page. Cà et là, des cris percent la matière textuelle et disent (de la manière la plus délicate et la plus pudique qui soit) la douleur d?être au monde, le sentiment d?échec, l?impossibilité de se faire entendre des êtres aimés et de nouer avec eux un dialogue. Ces cris sont autant de trouées, de vertiges qui aspirent.

Une ?uvre inclassable et bouleversante.

BH 09/12              

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