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 Aymeric Patricot par Livres-Addict.fr

"Suicide girls" d'Aymeric Patricot (Léo Scheer)

image-patricot-suicide-girlsC'est l'histoire de deux vies qui, lentement, irrépressiblement, convergent l'une vers l'autre à la manière de deux astres radioactifs, deux étoiles noires.

Un jeune professeur débutant et une femme, très jeune. Lui est titulaire d'une vie apparemment des plus lisses (compagne charmante, aussi ravissante qu'impeccable, métier qui requiert vigilance et la plus totale maîtrise de soi) mais dynamitée de l'intérieur et qui peu à peu se lézarde et se délite. Elle vient d'une vie éventrée depuis la prime adolescence. Tous deux, pour des raisons distinctes, tendent vers la mort.

Lui est hanté par la figure sans cesse revenante, par l'ombre colonisatrice de son père suicidé.

Elle est porteuse d'un corps stigmatisé par les brimades, les agressions dont il a été l'objet à partir du moment où il a commencé à poindre.

C'est d'amour et de mort dont il est question. Du point de jonction entre eros et thanotos et du corps qui est le lieu où tout s'accomplit et se défait. Manon (c'est ainsi que se prénomme la jeune cible) a le malheur d'être dotée d'un corps dont la singulière beauté non seulement aimante mais suscite l'irrépressible désir de la saccager. Un corps qui lui échappe, qui échappe et qui appelle, sans qu'elle sache pourquoi, la profanation. Elle ne peut compter sur personne car, solitaire, farouche, elle s'est, dès l'origine, exceptée de la communauté et elle est donc doublement désignée comme victime expiatoire. Avec le temps, les attaques dont elle est l'objet s'aggravent, redoublent de violence, elle n'est plus à l'abri de rien et le pire lui advient.

image_patricotA mesure qu'elle est plus durement malmenée, elle s'insurge, revêt les oripeaux de l'enragée de service, celle qui crache et mord à tout bout de champ, son isolement ne cesse donc de croître et elle s'enfonce dans une spirale infernale.

La lâcheté des adultes est, à cette occasion, magistralement épinglée et dénoncée. La narrateur, quant à lui, en quête du profil perdu de son père, s'attache de plus en plus à des jeunes femmes souffrantes, adeptes de l'autodestruction (des alcooliques, des camées, des suicidaires) comme s'il lui fallait, pour élucider le mystère de la disparition paternelle, érotiser son rapport à la mort.

Et Manon sera pour lui le fleuron de ces candidates au néant.

Lorsque le jeune professeur et Manon se rencontrent, ils se reconnaissent instantanément car ils courtisent la mort avec une égale intensité. S'engage entre eux une relation trouble et troublante qui prend la forme d'un amour chaste, infiniment tendre et infiniment périlleux. Ensemble, ils iront très loin, presque au-delà du possible et peut-être vers quelque chose de cathartique, peut-être vers une issue rédemptrice.

Les deux voix se succèdent en deux monologues alternés. La phrase est sobre, limpide, attachée à restituer au plus près, et avec la plus grande netteté possible, la confusion des sentiments, le violent chaos des sensations basculées.

Et tout se bouscule et se percute à mesure qu'on lit. Des rapports insolites se dessinent entre la beauté, le désir, le ravage et la mort.

Un texte qui dérange à proportion même qu'il fascine et suscite de salubres interrogations.

BH 09/10

Retrouvez également l'interview d' Aymeric Patricot par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.


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