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 Jose Luis Peixoto par Livres-Addict.fr 

"Sans un regard" de José Luis Pexeito (Grasset)

image_peixotoC'est un premier roman stupéfiant de beauté exténuée. Un souffle d'une ampleur et d'une puissance mythologiques surgi comme de dessous la terre.

Chaque mot est d'une densité, d'une force de percussion et d'une justesse telles qu'il s'égale au plus solennel, au plus sacré des silences.

Les voix qui montent viennent des entrailles et de plus loin encore, voix millénaires chargées de la légende des siècles et de la douleur des peuples opprimés, douleur des offensés et des humiliés. Les voix  profèrent et murmurent à la fois. L'auteur réussit ce tour de force de faire coïncider ces antipodes.

Le texte se déploie sur deux générations, deux temps qui se répondent par jeux d'échos comme les pulsations de coeurs jumeaux répercutés l'un dans l'autre. Il y a José le père et José le fils et leurs vies se parlent, se reflètent l'une dans l'autre comme au mépris de toute chronologie, de toute logique temporelle.

On se trouve dans un temps et un espace insituables. Le lecteur est baladé au travers de vastes territoires sauvages calcinés de vent, de chaleur et de gel. Il est introduit au sein d'une communauté de gens de peu, bergers, menuisiers, humbles au service des riches et fantomatiques propriétaires de la grande maison, l'un des points nodaux, l'un des lieux cristallisant les intrigues entrecroisées . L'on fait connaissance, tour à tour, avec le diable ou démon, lui aussi répercuté avec exactitude dans son fils, avec un géant débordé par son érotique convoitise, avec deux siamois au destion tragique, avec une énigmatique voix émanant d'un coffre, autant de personnages droits sortis d'une légende mais qui s'intègrent avec un parfait naturel au récit lequel ne relève pas du conte ni de rien d'assignable. S'il y a un vent qui souffle sur ce pays perdu et ces personnages égarés, c'est celui de la tragédie. Les protagonistes dénués sont livrés à des forces funestes qui les pulvérisent et les égalent à des héros épiques.

Dans les deux périodes, de génération en génération, les drames s'engendrent et éclosent en miroir.

Au bar, où il se rend mû par une obscure nécessité, José le père est persécuté par le démon lequel ne cesse d'insinuer que sa femme passe son temps à le bafouer, couchée sous le géant. Quant à José le fils, il est accusé par le démon héréditaire (fils du précédent) de forniquer avec la femme de son cousin et ami Salamão.

L'un des siamois épousera, transi d'amour, une cuisinière dont la fille deviendra la femme, présumée traîtresse, de Salomão.

Et cette dernière vivra tout aussi obscure, silencieuse et retirée que la femme de José le père et elle tiendra comme son aînée des colloques secrets avec la voix du coffre.

 Aisin les choses se répètent-elles d'âge en âge, avec d'infimes ou décisives variations, modulations qui affectent les destins singuliers mais non le cours tragique de l'ensemble.

Les vies passent, humbles, dignes et droites et cependant courbées devant l'âpre nécessité. Les vies passent, calcinées de désir et d'angoisse, brûlées au feu de la fatalité.

A la croisée du fantastique et de l'élégie, à la fois poème, oeuvre lyrique, opératique, incantation chuchotée et épopée des laissés-pour-compte aux accents bibliques, ce texte inclassable est un nectar grisant et une partition hypnotique à laquelle on ne peut s'arracher.

BH 03/10

"Le cimetière des pianos" de Jose Luis Peixoto (Folio Gallimard)

image-peixotoJose Luis Peixoto est un acrobate hors pair et aussi un écrivain d'une infinie sensibilité. Que les deux se trouvent rassemblés en un même être, la virtuosité et l'aptitude à restituer des émotions vibrantes, est une chose si rare qu'elle mérite d'être mentionnée. Si Jose Luis Peixoto brouille les pistes, s'il joue avec la chronologie et va jusqu'à confondre les identités, ce n'est pas seulement pour éprouver ses dons de créateur surdoué mais pour mieux faire jaillir l'émotion brute.

Nous nous trouvons à Lisbonne au tout début du XXème siècle. Deux voix, successivement, alternativement, nous guident dans le dédale des sensations buissonnières, arborescentes. Deux voix, la voix du père, la voix du fils auxquelles s'adjoindra, sur la fin, celle du petit-fils. Trois générations : on pourrait presque se croire dans une très familiale saga sauf qu'on est bien plus dans le poétique que dans l'épique et que  la narration n'a rien de classique.

Tout commence par la fin, c'est-à-dire par la mort. La première des voix qui s'élève, celle du père, nous parvient post-mortem. L'homme est mort mais sa conscience, avisée et comme affûtée, est très agissante : depuis son no man's land, il observe les survivants, les membres de sa famille, et il commente. A l'examen du présent se mêle, s'agrège, dans un ordre tout à fait arbitraire des bribes de souvenirs et des pans entiers de passé exhumé. Ainsi, les scènes se succèdent dans une chronologie bousculée, une chronologie anarchique qu'il appartient au lecteur d'éventuellement rétablir. Eventuellement car le tissage subtil et complexe qui se tresse et secrètement se trame au fil du texte se préoccupe bien plus des parfums, des perceptions de toute nature et des sentiments submergeants que de l'ordre chronologique.

Au tiers du texte, le pèere passe la main, il est relayé par son fils cadet, Franscico, lequel parle aussi depuis sa mort et entrelace aux souvenirs sensoriels, kilomètre par kilomètre, la course haletée du marathon de Stockholm qu'il effectua en 1912, marathon qui causa sa mort par épuisement et dont il consigne, à vif, à bout de souffle, dans un présent contracté, affolé et syncopal, la manière dont il modifie son corps et affecte son esprit.

Au fil des évocations qui se télescopen et se catapultent, apparaisent ceux et celles qui ont fait la matière de ces vies en allées. Il y a les amoureuses d'abord, créatures vaporeuses, sublimes et sublimées parce qu'intouchables mais devenues bientôt épouses ternies et délaissées voire bafouées. Et puis les frères et soeurs et enfin les enfants, neveux et nièces et, dans le cas du père, les petits-enfants.

Il y a Maria et Marta, soeurs de Franscico. Maria, intoxiquée depuis sa prime adolescence par les romans d'amour dont elle se perfuse et qui tombera sous le joug d'un mari insignifiant lequel cependant la malmène et la violente. Marta en apparence plus ferme, moins friable mais que son mari trompe sans vergogne et dont le corps enflera à mesure que se multiplieront les frasques de l'époux. Et puis il y a le frère, Simao qui, tout comme l'oncle du père est borgne car Franscico lui a, par inadvertance, crevé un oeil lorsqu'il était âgé de quatre ans et le jeune marathonien porte, depuis, silencieusement cette croix. Heureusement il y a aussi les enfants de Marta et Maria, frêles silhouettes, elfes graciles, farfadets facétieux porteurs d'insouciance et de joie, créatures mercurielles dont les rires et les jeux crépitent entre les pages.

Le "cimetière des pianos" est un point nodal dans la vie des personnages, lieu dramaturgique qui revêt des dimensions mythologiques et où se nouent et se dénouent des destins, où éclatent des scènes brûlantes ou tragiques.

D'une voix à l'autre, d'un récit à l'autre, les jeux d'écho se multiplient jusqu'au vertige. Les frontières se font indécises, les temporalités et les personnalités en viennent presque à se confondre.

Ce renvoi perpétuel de l'un à l'autre fascine et la langue fait le reste : aérienne, poreuse et parfois toute de saccades épileptiques, elle est d'une rare force évocatoire, elle irrigue le texte d'une poésie vibrante autant qu'envoûtante. L'écriture est d'une grâce féerique, zébrée de non-dits, d'ellipses déchirantes.

Et rarement l'enfance a été évoquée avec autant de justesse et de sensibilité : comme si l'auteur n'avait pas débranché ses antennes de ce territoires-là. Les scènes qui se succèdent sont souvent quotidiennes et paraissent parfois sans impact, immédiat, essentiel mais elles charrient toute la matière dont est pétrie l'existence et chaque fois saisissent par l'incroyable finesse de l'approche.

Un texte nervuré à l'extrême, un texte écorché, à fleur de larmes enfouies et de rires inhumés. Boulversant.

BH 02/10

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