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Per Olov Enquist par Livres-Addict.fr
"Blanche et Marie" de Per Olov Enquist (Actes Sud)
"Blanche et Marie", c'est un coup de projecteur extraordinairement prenant sur deux personnages historiques, l'un illustrissime, l'autre méconnu.
Coup de
projecteur mais aussi approche très singulière. Marie, c'est rien moins
que Marie Curie et Blanche, c'est Blanche Wittman, d'abord cas
psychiatrique, patiente du professeur Charcot et appât public, renommée
par ses spectaculaires manifestations d'hystérie lesquelles
illustraient à merveille les théories du grand professeur. Puis
assistante de Marie Curie.
Le pivot de l'histoire telle que la conçoit et la restitue Per Olov Enquist, c'est Blanche. Blanche en sa trajectoire inouïe. Blanche et sa vie coupée en deux. Comme son corps. Blanche internée à l'âge de 19 ans et devenue emblème, icône du "mal du siècle" au féminin, l'hystérie. Blanche, théâtrale, prêtant ses crises au professeur Charcot et vivant avec lui un amour aussi brûlant que chaste. Car non-dit, frappé du sceau de l'interdit.
Blanche devenue ensuite, après la mort de son amour, l'assistante dévouée, de Marie Curie. Blanche qui poussa la ferveur jusqu'à être l'une des premières et des plus radicales victimes des ravages générés par le radium. Blanche à l'origine très belle, mais, en récompense de son excès de zèle, amputée des deux jambes et d'un bras. Blanche devenue une femme-tronc veillant sur la vie tumultueuse de Marie Curie.
Blanche la mutilée qui se réfugie dans l'écriture. Elle se fait le scribe de sa propre vie mais surtout elle devient le mémorialiste de la vie de Marie. Elle consigne les turbulences, les convulsions qui affectent, après la mort de Pierre Curie, sa liaison avec l'associé de ce dernier, le chercheur Paul Langevin. Liaison scandaleuse qui la voua à l'opprobre mondial, la précipita plus bas que terre, l'initia aux cuisantes brûlures de la hontes et faillit lui coûter son second prix Nobel.
Per Olov Enquist affecte de transcrire les carnets tenus par Blanche. Ils sont plusieurs, de couleurs, de nature et de vocation diverses. Il y a, tout spécialement, "Le livre des questions", le carnet auquel Blanche revient sans cesse et sans désemparer, celui dans lequel elle s'est assigné pour tâche de définir l'essence de l'amour. Rien de moins. Et, pour ce faire, elle interroge inlassablement sa propre histoire avec le professeur Charcot ainsi que celle de Marie avec Paul.
Ce qui fascine, dans ces carnets, c'est moins ce qu'ils disent, ce qu'ils révèlent, que ce qu'ils taisent, c'est moins ce qu'ils transcrivent que le mystère autour duquel ils tournent et qui irrigue le texte d'un flux brûlant. Si le récit de P.O. Enquist présente un intérêt documentaire certain, il vaut surtout par sa dimension poétique et les libertés que l'auteur s'autorise tant par rapport à la vérité historique que dans son écriture. Le style oscille en effet entre le syncopé, l'elliptique et le déclamatoire. L'auteur apostrophe ses héroïnes, il les interpelle par leur prénom et il passe du chuchotement le plus intime à l'incantation souvent poignante. Ces ruptures saisissent et maintiennent une tension consistante.
On est reconnaissant P.O. Enquist de s'être affranchi de tant d'allégeances qui eussent été pesantes. Le texte y gagne en force, en pudeur, en mystère et, bien sûr, en inventivité.
Une création brillante et belle. Un joyau.
BH 07/07