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 Laurence Plazenet par Livres-Addict.fr

"Disproportion de l'homme" de Laurence Plazenet (Gallimard)

Pour ceux qui sont familiers de l'oeuvre de Laurence Plazenet, "Disproportion de l'homme" peut faire office de clef de voûte, d'éclairage cru jeté sur un dense mystère longtemps infissurable.

Pour les autres, les bienheureux qui découvrent, c'est encore et tout de suite, le rapt, l'aspiration vers le haut.

C'est le portrait d'un homme, Simon qui, au seuil de la quarantaine, traverse une crise sans précédent.

image_disproportionIl possède tous les attributs de l'homme moderne rassasié de biens, comblé de tous les signes extérieurs de réussite. Il est doté d'une épouse, de deux charmants enfants, d'un troisième en cours, d'un emploi bien rémunéré et relativement prestigieux. Il possède mais il n'est pas.

Sa vie a été fendue, fracturée longitudinalement depuis sa prime jeunesse.

Un beau jour, il a été frappé, il a vécu un foudroiement tenace, un qui s'entête mais il n'est pas pourvu des forces ni de l'armature nécessaires pour accueillir cette brûlure. Un corps, un visage, une présence féminine l'ont happé quelque part dans les couloirs de la Sorbonne alors qu'il était âgé de 24 ans à peine. Elle s'appelle Elisabeth et c'est réciproque et sans retour possible. A ce détail près qu'Elisabeth était, à l'époque de la mise à feu, fiancée, promise à un autre dont la figure demeurera méconnue.

Ce pourrait être un vaudeville ou une énième variation morose sur les tribulations adultérines mais c'est beaucoup plus que cela.

Car le texte est soulevé en son centre par une force double, un levier bifrons d'une puissance aussi redoutable que consumante.

Il y a d'abord ce sens aigu du sacré qui irrigue tous les textes de Laurence Plazenet et propulse celui-ci très au-dessus des productions contemporaines.

L'amour, chez cet auteur, qui tutoie l'intemporel et bien souvent l'éternité, est chose si noble qu'elle engage le lecteur dans un long vertige dont, pas plus que Simon, il ne revient.

Et puis il y a l'écartèlement dont Simon est la proie. Simon possédé mais incapable de trancher, d'opter entre le profane et le sacré et qui oscille et varie tragiquement tout au long de sa vie.

image_plazenetLe texte décrit, avec une minutie saisissante, ses tentatives répétées, forcenées, pour étouffer en lui le feu, pour ligaturer la veine d'absolu et lui substituer le relatif.

C'est le portrait poignant d'un homme touché par la grâce mais dont la grâce ne veut pas parce qu'il ne sait pas vivre à hauteur divine.

Elisabeth est son au-delà mais il ne s'éprouve pas apte à vivre dans le feu. Il a vécu, il a eu avec cette femme cinq nuits et, bien qu'il s'acharne à les enfouir au plus silencieux de lui, ces cinq nuits sont sa crucifixion, elles ressurgissent impromptu et le clouent et le réduisent en cendres.

Le récit court sur des années car le lien jamais ne se défait, étant par nature indéfectible.

Elisabeth est une énigme qui patiente et, à maintes reprises, il aurait suffi que Simon esquisse un geste, qu'il prononce une parole, qu'il révoque sa peur pour qu'elle lui soit rendue, entière. Mais Simon bafoue le sacré de l'amour, il sacrifie la part du feu, élit le confort, la lâcheté plutôt que de s'ouvrir à la brûlure. Et à cause de cette apostasie, peut-être le pire péché qui soit, Simon sera sans repos et il vivra damné.

En cela, ce texte est extrêment contemporain puisqu'il stigmatise furieusement une catégorie d'hommes qui hélas prolifère mais c'est aussi un texte universel et inassignable qui rend compte d'un débat éternel.

Le récit navigue fluidement entre les époques entre les points rougeoyants, les foyers incandescents de la vie de Simon. Ils sont entrecoupés de passages incantatoires et mystiques car le sublime et, plus encore le divin est, inépuisablement, l'horizon vers quoi tendent les textes de Laurence Plazenet.

Une prose dont la pureté glacée s'égale à la plus haute poésie. Un choc, une commotion, une voix qui transperce.

Le lecteur est, à l'égal de Simon, hanté et foudroyé.

BH 10/10

Retrouvez également l'interview de Laurence Plazenet par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs

"L'amour seul" de Laurence Plazenet (Albin Michel)

image_amour_seulC'est un livre de fièvre sèche et d'air raréfié. De sarments qui brûlent si haut que l'âme en est presque asphyxiée.

Noblesse native, noblesse de coeur, rudesse des exigences, vies taillées, élaguées au plus dru, vies rougies, bronzées sous le fouet des contraintes, sous l'aiguillon des pénitences, il n'y a là pas de place pour aucun accommodement avec la tiédeur.

Ce qui est dit là, c'est un amour si grand qu'il ne peut être serti que dans l'écrin d'une langue parfaite. C'est un amour si grand que seules des phrases brèves, coupées, claquantes peuvent en rendre compte.

Il y a des réminiscences, nombreuses, d'Héloïse et Abélard, mais transposées dans les strictes rigueurs du Grand siècle. Soumises à la juridiction d'une langue sans pantèlement aucun. Une langue presque racienne mais tranchée bien plus ras et plus épurée encore.

C'est l'histoire de mademoiselle d'Albrecht, 15 ans à peine, et de son précepteur, M. de Ramon. Ils ne sont pas situables, pas assignables, aucunement anecdotiques. Mademoiselle d'Albrecht est pourvue d'un père qui macère interminablement dans le deuil d'une épouse adorée, et d'un frère lointain, en allé. Elle vit dans une réclusion quasi totale. De M. de Ramon on ignore à peu près tout. Ces deux-là vont s'aimer au-delà du possible. Ils auront des emportements insensés et des puretés glacées.

Ils exigent d'eux-mêmes des ascèses et des mutilations qui s'égalent presque à celles des saints. Mais ils ont aussi des fureurs, des convoitises animales. Dans l'art de la cruauté, M. de Ramon est la maître inconstesté. Il est expert, également dans l'art du retrait, des privations et des mortifications qu'il impose. Il laisse sa jeune amante se languir des jours, des semaines sans concéder aucun adoucissement à ses peines. Et il la crible de déchirantes déclarations, lui représente qu'elle n'est rien d'autre pour lui qu'un égarement de sa chair trop faible.

Les mobiles de M. de Ramon demeurent obscurs : pourquoi malmène-t-il sa pourtant tant aimée avec une si acerbe persistance? On entrevoit qu'il redoute de se leurrer, de céder à des entraînements coupables, de précipiter son amante dans la perdition et ce serait pourquoi il la châtie autant qu'il se brime mais rien n'est sûr. M. de Ramon reste, tout du long, une opacité qu'on ne pénètre pas plus que ne le fait Mademoiselle d'Albrecht.

La jeune fille, elle, est toute dédiée, elle endure, s'étiole et meurt à elle-même sans exhaler une plainte, elle est toute dévouement, dévotion, consentement sans condition, révérence et adoration.

Elle est l'amour pur, l'absolu de l'amour auquel M. de Ramon se ralliera trop tard et ce texte d'exception, on le lit ébloui et le coeur serré. Le coeur serré mais aussi gonflé de gratitude.
Car les crudités de la chair et les déhanchements de la passion sont contenus dans le corps d'une langue si haute qu'on en suffoque.
Et en ces temps de relâchement et de général désenchantement, on ne peut que rendre grâce à qui nous élève avec une si rare science du sublime et de l'amour fou.

BH 09/10

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