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Grégoire Polet par Livres-Addict.fr
"Les ballons
d'hélium" de Grégoire Polet (Gallimard)
C'est
un texte en forme de chute indéfiniment reprise et rééditée, une coulée
à vif et à pic qui ne cesse que pour opérer, ailleurs et autrement,
cette cavalcade renversée, cette malédiction de Sisyphe projetée dans
les profondeurs.
C'est une plongée dans les entrailles d'une vie hantée, une vie arrachée à elle-même mais où l'altération majeure et la déportation véritable ne sont pas celles qu'on croit.
C'est une énigme en forme de femme et une dévoration crue, sertie et saisie par des mots d'une délicatesse inouïe.
C'est la déposition d'une vie dans le creux d'une absence. Et cette absence, dès lors, de même que la vie déposée et soustraite aux autres, se font retentissantes.
C'est Ariana, jeune espagnole tout juste surgie de l'adolescence et partie à Zurich pour un échange linguistique mais surtout pour muter, muer, dans le but avoué de vivre une expérience initiatique. Et, en effet, là-bas, à Zurich, elle va rencontrer Roland, séduisant quinquagénaire avec qui elle vivra une semaine d'amour fou, d'étreinte absolue avant que ledit Roland ne se volatilise à jamais. De cette foudre inaugurale, de ce foudroiement, Ariana ne se relèvera jamais.
Elle élira une vie fantomale et livrera aux autres (si aisément abusés) le leurre d'un exctoplasme, un décalque fantoche d'elle-même cependant que s'étendra, au secret d'elle, le ravage. Et Grégoire Polet excelle à rendre sensible le contondant au sein du cotonneux, le lent et languissant processus de perdition dans le veloutement d'une vie amortie et calibrée.
L'auteur épouse les méandres et les circonvolutions les plus secrètes de la conscience fracturée. On pénètre dans un territoire insulaire et hanté, au coeur d'une vie atomisée, sursitaire, mystificatrice. Ariana épouse Axel, sorte de gendre idéal, et, avec lui, une vie d'alibis qui lui permettront de faire très longtemps illusion. Elle tient son rôle d'épouse et de mère bourgeoise, idéalement, exactement comme un emploi théâtral. Et ce texte dénonce aussi avec virulence les impostures tristement ordinaires qui sont le lot de tant d'existences prétendument privilégiées mais creuses et livrées à la plus profonde déshérence.
On assiste à des scènes quotidiennes, des dîners d'apparat (bien que placés sous le sceau de la plus chaleureuse amitié) dont la facticité est proprement glaçante.
Au fond, Ariana, en se réduisant à une complaisante et conciliante absence, ne fait que se conformer à ce qui est attendu d'elle. Si ce n'est qu'elle est un peu plus ou un peu moins qu'une épouse captive de sa luxueuse cellule capitonnée Elle est un tantinet trop diaphane et surcreusée aux yeux de son mari qui aspire quand même à un peu plus d'aspérités, de répondant.
C'est que sa vraie vie est absente, en allée avec Roland et l'amour fou par quoi elle fut carbonisée. Et nul ne soupçonne qu'elle vit une double vie mais pas au sens où on l'entend ordinairement. Ou plutôt, elle vit une vie unique, irriguée d'un flux profond, brûlant, souterrain et secret, une vie couverte par une vie postiche. Et nul ne soupçonne que chacun de ses gestes est dédié à sa chambre forte, à un lieu d'elle-même à jamais révolu et qui recule indéfiniment, vertigineusement, dans le passé qui flamboie et s'incendie sans trêve en elle.
Rien du présent ne l'avive, ni ne l'exhausse pas même une piteuse et quasi vaudevillesque tentative adultère avec le plus proche ami de son mari..
Les monologues intérieurs, écrits à la deuxième personne du singulier, retentissent d'un écho d'autant plus assourdissant : l'altération, l'aliénation sont totales.
A la suite de Grégoire Polet, on plonge en apnée dans les profondeurs suffocantes d'une âme possédée.
Un texte absolument hypnotique.
BH 03/12