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 nne Provoost par Livres-Addict.fr 

"Regarder le soleil" de Anne Provoost (Fayard)

image_provoostC'est une histoire d'étrangeté, une histoire voilée, un texte qui joue du clair-obscur jusque dans ses phrases filtrées et tamisées.Une dureté inouïe élimée, vaincue par le génie d'une petite fille. 

On se trouve dans un ranch isolé en Australie. Il y a Chloé, la narratrice, encore enfant, il y a sa mère, Linda, il y a son père très tôt soufflé, expulsé du récit, mort à la suite d'un accident équestre, alcoolisé et troublement familial. Il y a encore Ilana, demi-soeur adolescente de Chloé, née d'une première noce de Linda. Et puis il y a Rockie et Lorna, couple d'amis proches, débordants d'une sollicitude embarrassée.

Les malheurs se succèdent : en plus d'avoir perdu son mari, Linda est en train de perdre la vue et Chloé assiste, impuissante à ces cataclysmes et délitements. Mais ce texte est tout sauf un mélo. C'est une eau-forte. Chaque trait est net, sèchement tracé, chaque mot est clair, précisément ciblé et pourtant l'ensemble dérive et se décale et se décalque en marge du réel homologué. Cela tient à la vision. Celle de Chloé qui est tout à fait singulière. Elle observe et rend compte de ses observations, elle sent et rend compte de ses sensations. Pas d'analyse, rien que du brut. Pas de hiérarchie non plus, pas de classements ni de clivages dans les facteurs qui affectent sa sensibilité. Les variations atmosphériques, le défilement du paysage sont répercutés par Chloé au même titre que les troubles qui frappent sa mère.

Et Chloé se fait témoin du chaos et des étrangetés qui l'entourent. La lente déchéance de sa mère qui se voulait, se rêvait photographe mais dont la progressive, l'inéluctable cécité la condamne à ne plus distinguer que des formes troubles. La défection d'Ilana, la demi-soeur idolâtrée, sa fuite chez son père car elle ne supporte pas d'assister au déclin de sa mère. Les collusions, les frictions trop intimes de ladite mère, fraîchement veuve, avec un jeune commerçant puis, plus tard, avec un pêcheur quasi aveugle, lui aussi, et croisé chez l'ophtalmologiste.Le délabrement inévitable de la ferme et du jardin dont la mère n'est plus capable de se charger correctement. Les efforts, touchants et pathétiques, de Rockie et de Lorna pour leur venir en aide.

Chloé semble condamnée à un face à face asphyxiant, presque spectral avec une mère de plus en plus ectoplasmique, de moins en moins fiable et qui pèse sur elle de ses attentes et exigences exorbitantes. Mais au sein du périmètre qui lui est alloué, Chloé fugue elle aussi. Et elle explore. Echappement par l'imaginaire, bien sûr, évasion mentale mais aussi physique. La sauvage qu'elle est fusionne avec le sauvage de la nature environnante, elle exacerbe ses sens, se gorge d'odeurs, de saveurs. De visions, aussi, outrancièrement. Presque comme si elle était animée d'un esprit de revanche. Non pas qu'elle soit insensible mais il est question pour elle plus que la traditionnelle émancipation : de survie, de la préservation de son intégrité physique et morale.

La mère devient étrangère au monde cependant que Chloé l'apprivoise. Bien que la fillette soit la proie d'émotions violentes, tout est rapporté sur un mode distancié car, en Chloé, s'est d'abord le corps qui parle et le corps a l'intelligence  de ne pas se laisser déborder par ses affects, de les sérier et les réguler grâce à une observation minutieuse, presque clinique, de ses effets.

Ainsi, tout est tranversal par rapport à une narration traditionnelle. Cela donne lieu à un texte d'une grande poésie, d'une fraîcheur et d'une virginité éblouissantes mêlées à une brutalité vertigineuse.

Un premier roman d'une rare force évocatrice. Un texte qui hante.

BH 09/09

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