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 Marie Rivière par Livres-Addict.fr

"Fond de carte" de Marie Rivière (Melville - Léo Scheer)

image_riviereMarie Rivière a écrit un récit de désenchantement des plus originaux. Elle orchestre une errance presque statique doublée d'une très mobile cavalcade mentale, de ruades et d'embardées internes suraiguës.

Rafael, l'ulysséen narrateur est un étudiant bordelais en rupture. Avec ses études. Avec Bordeaux. Avec sa vie tout entière. Il sort de trois semaines de prostration passées en tête à tête avec son canapé et il entend bien fuir à jamais la ville dans laquelle il s'éprouve englué. Car il abomine Bordeaux, vécue par lui comme un lieu de confinement et aussi de mesquineries et de frustrations exacerbées.

Il déambule donc dans cette ville honnie mais c'est comme s'il ne parvenait pas à rejoindre la ligne de fuite convoitée car son périple est circulaire. Il est circulaire car essentiellement psychique et composé des spirales et voltes ressassantes qui cadencent sa marche. Rafaël, au fil de ses pérégrinations, évoque, se remémore, fantasme, projette, enrage, s'ensauvage, bouillonne mais tout cela toujours et exclusivement sous le couvercle de son crâne, calotte qui somme une machinerie survoltée.

Entre évocations, révocations, coups de gueule, coups de sang, accès de nostalgie, regrets incompensables, Rafaël navigue et tangue.

Il est question de son parcours chaotique, de ses velléités créatrices restées en suspens, de son passage-éclair aux Beaux-Arts, cette "fabrique d'artistes" qui ne résiste pas à la tentation du formatage. Il est question de ses origines incertaines car mal assumées par des parents eux-mêmes flous et invertébrés. Il est question un peu de la mère, Maria, exilée de l'intérieur car catalane refoulée et beaucoup du père, Antoine, figure-repoussoir, homme-enfant inconsistant, fantomatique, fuyard perpétuel qui se dérobe à toute prise, que son fils voue aux gémonies tout en trahissant, pour cet homme-lige et à travers ce rejet obsessionnel, une secrète fascination. Il est beaucoup question des filles qui ont croisé, formé déformé, façonné notre jeune narrateur.

Il y a Nada la colocataire complice, libanaise en mal de patrie et d'enracinement elle aussi. Il y a Myo, la pute camée, flouée et souffletée qui porte haut sa misère. Il y a Loïc, figure-phare de la fac et de la ville, icône rock'n roll, fabrique d'images à elle toute seule, exclusivement mobilisée par la construction de sa propre légende.

Et puis il y a Clémence, le grand amour perdu aussi absente et volatilisée que l'est Antoine, le père.

Les pensées se lacent, se choquent, se percutent, sinuent, bégaient, se cousent entre elles au fil d'un ressassement qui gagne en acuité à mesure que la réflexion (qui tient plus des sursauts pulsionnels que du raisonnement méthodique) se déroule.

La langue est toute de verve et de verdeur mais la singularité du récit tient avant tout au prisme choisi par l'auteur : Rafael est féru, fondu de cartographie et tous les événements vécus et les êtres côtoyés sont rapportés à des cartes, celles des villes foulées ou rêvées, les étudiées, les connues par coeur, les incertaines, les lacunaires, les imaginaires, les créées de toute pièce...

Une belle variation autour du roman d'apprentissage et du délicat passage à l'âge adulte.

BH 05/10

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