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 Jean-François Rouzières par Livres-Addict.fr 

"Le revolver de Lacan" de Jean-François Rouzières (Seuil)

image_rouzieresLe titre intrigue et escroque. On s'attend à une énième facétie du maître, à un de ces tours pendables dont il avait le secret (et la secrète jouissance) et qui l'égalaient à un irrécusable et indécrottable polisson.

L'escroquerie, cependant, n'est pas totale. Car il sera question de violence autant que de psychanalyse. Et il ne s'agit pas non plus seulement d'une métonymie. Car le revolver de Lacan surgira bel et bien au cours du récit et il s'illustrera de la plus éclatante façon.

Pour le reste, on n'a nullement à faire à une pochade ou à une pantalonnade et le texte est bien plus grave et complexe que ce que le titre laisse supposer.

Gabriel, le narrateur, est une tête brûlée, un soldat, engagé volontaire, pris dans le feu d'une double fureur : celle de la guerre en Afghanistan et celle d'une autre guerre, intestine, celle-là, et qui lui broie les tripes, car amoureuse.

Dans les combats, donc, menées intrépides et opérations des plus périlleuses, Gabriel cherche à épuiser plusieurs passions simultanées dont l'une est de nature clairement oedipienne car la figure maternelle, obsédante, lui empoisse la tête et le coeur.

Mais au coeur du coeur, au fin fond du délire sanguinaire, scintille un joyau rougeoyant, dangeureusement incandescent qui se prénomme Mathilde. Et la vie de Gabriel, archange foudroyé et maudit ne cessera de graviter autour de cet astre, de cette femme astrale et australe au prénom stendhalien, au parfum d'impossible. L'amour, entre eux, était, est, pourtant de foudre aussi mais Mathilde se détourne de Gabriel, à ses yeux trop gueux, pour embrasser une vie de confort et de luxe ainsi le mal nécessaire afférent, autrement dit le mari qui lui fournit tout ce superflu.

Gabriel est un enragé éperdu qui ne cessera de talonner Mathilde jusque dans les lointains et les poudrières de la guerre afghane. Mathilde est une précieuse, une exaspérante coquette mais aussi une irrésistible et fatale héroïne, une sublime devant qui l'on s'incline à tous les coups.

image_rouziereOn suit d'abord Gabriel dans ses tribulations soldatesques. On fait la connaissance de ses compagnons d'armes. Il y a Capa et "le Géant", deux hommes frustes d'aspect et de manières mais capables de singulières délicatesses. Et il y a surtout Nadja qui est à leur tête, Nadja qui a la guerre dans le sang, Nadja, sorte de walkyrie ukrainienne et qui présente aussi peu de similitudes que possible avec l'éthérique et mythique silhouette qui cristallisa les fulgurances du sieur Breton. Cette Nadja-là se conduit en homme et administre aux hommes des raclées morales, des leçons de courage et de pugnacité. Elle fascine Gabriel qui échoue cependant à s'éprendre d'elle et à oublier par elle, qui est tout d'un bloc, la frémissante et frétillante et incaptable Mathilde. Peut lui chaut à la stoïque Nadja qui scande, impavide : "Je m'en fous, je t'aime pour deux". Comme de juste, Nadja mourra en héroïne sur le champ de bataille et, de cette disparition Gabriel se remettra si peu qu'il mettra un terme définitif à sa carrière militaire et qu'il héritera, en sus des physiques et détonantes, d'une béante blessure psychique laquelle le laissera sur le flanc.

La mort de Nadja cristallisant toutes ses fragilités et le précipitant à terre, Gabriel sera réduit à un état catatonique. Si bien qu'il ui faudra recourir, pour se redresser, aux déroutantes roueries de la psychanlyse.

L'étonnant praticien auquel il livre d'abord, et pendant longtemps, son mutisme irréfragable, son nouement cadenassé, se nomme Monte Cristo et il excelle si bien dans les passes magnétiques verbales et la manipulation mentale bien intentionnée qu'il rejoindra bientôt Mathilde dans l'empyrée où siègent les êtres charismatiques capables de hanter Gabriel. Et l'émotion point entre les pointes. 

La troisième et dernière partie du récit relate la résurgence de notre homme sous la houlette d'un dénommé Tragger lequel l'initiera, entre autres choses, à la chasse. Car c'est bien d'un singulier et tardif parcours initiatique qu'il s'agit, doublé d'un éloge de l'altérité, la rimbaldienne et la littérale tant ce n'est que par les autres que Gabriel advient à lui-même. 

On notera l'efficacité du style, tout de saccades et de syncopes, de flèches durement décochées et qui restitue à merveille les états paniques de Gabriel. Quant aux traits d'humour, ils ne se bornent pas à faire crépiter le texte, ils l'aèrent et l'allègent opportunément.

Une réussite.

BH 01/11

Retrouvez également l'interview de Jean-François Rouzières par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.

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