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 Emmanuel Ruben par Livres-Addict.fr

"Halte à Yalta" d'Emmanuel Ruben (JBz & Cie)

image_yaltaC'est un périple qui va comme un cheval dételé et semble, par moments, celui d'un train qui doucement déraille.

C'est l'histoire d'une rencontre insolite et d'un lien non moins singulier et purement circonstanciel qui se tisse entre deux hommes, deux pérégrins.

C'est, depuis la Crimée, à bord d'un train soviétique cahotant et poussif, une traversée de l'espace russe, une plongée abrupte dans une durée bringuebalée, chahutée par deux âmes qui se cognent.

C'est un choc non concerté qui génère une proximité irritante, un attachement paradoxal et accuse, en même temps, la distance sidérale qui sépare deux altérités.

Voyagent ensemble dans ce récit, par pur effet aventureux et aléatoire, le narrateur, homme assez lambda, la quarantaine sonnée et en voie de désabusement, et le "Tatar", personnage principal et saillant, encore tout bouillonnant de prime jeunesse et qui va devenir, pour le narrateur, l'objet d'une cristallisation obsessionnelle. Ce qui requiert notre homme au premier chef, c'est, à l'égal de ce qui se produit lors d'un coup de foudre, le physique du Tatar lequel le magnétise et même l'hypnotise. Ledit Tatar (appellation qu'il s'est lui-même attribuée) présente en effet des traits caractéristiquement slaves ou asiates qui font de lui un archétype.

Les deux hommes, confinés dans un même espace pour une durée anormalement longue, vont s'engager dans une échange qui, tout de suite, outrepassera les platitudes d'usage. Ils sont d'emblée dans l'affrontement, une joute verbale véhémente dont l'enjeu les dépasse et va les mener loin de leurs rives mentales familières et balisées.

Entre eux, il sera question de littérature, de Tchekov contre Tolstoï, de Pasternak, de Blok mais aussi de peinture, de beuveries (cuites carabinées à la vodka, comme il se doit), de lieux traversés devenus géographies intimes, de femmes aimées ou désirées, de l'usage que chacun fait de sa vie et qui se modifiera chemin faisant.

photo_rubenAu contact du Tatar, le narrateur renoue avec une pratique pour lui essentielle mais remisée par lassitude et résignation : celle du dessin. Cette revivescence se produit d'abord parce que le si singulier visage de jeune homme suscite en l'homme plus âgé le désir irrépressible de le fixer sur papier. Mais il se trouve que le Tatar est lui-même un dessinateur frénétique, il griffonne sans cesse sur son calepin et bientôt s'engage entre les deux hommes quelque chose qui est de l'ordre de la compétition artistique.

Il y aura des querelles (souvent pour des vétilles), des incompréhensions mais aussi des surprises, des découvertes, des émerveillements. Entre les deux hurluberlus la circulation ne sera pas que verbale mais essentielle : chacun sortira de cette promiscuité forcée profondément changé.

C'est, à tout le moins, le cas du narrateur qui se ravive peu à peu sous l'aiguillon des virulences et des embardées du jeune homme.

Ce récit est un magistral éloge de l'altérité en tant que, du moment qu'on se consent à se frotter à elle, on n'en sort pas indemne.

C'est aussi une virée vagabonde, une déambulation mentale en roue libre qui s'appuie sur des flamboyantes et incisives descriptions. C'est un ton, mordant, ironique et parfois irradié d'émotion pure.

C'est enfin un style chatoyant, chamarré, torrentueux qui emporte et envoûte.

BH 10/10

Retrouvez également l'interview d' Emmanuel Ruben par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs. 


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