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 Catherine Safonoff par Livres-Addict.fr


"Retour, retour" de Catherine Safonoff (Zoé)

C’est un livre détaché de tout, un livre suspendu, en apesanteur et qui ne se rapporte à rien. Rien de repérable, d’identifiable dans ce récit inclassable qui nous emmène au fil d’un voyage presque immobile. On est projeté dans la conscience chaotique de la narratrice dont on a le sentiment qu’elle-même ne sait pas vraiment où elle est ni, surtout, où elle en est.

Si l’on croit trouver dans le retour du titre éponyme un repère, un indice, on est vite détrompé : en fait de retour, c’est plutôt à un éternel faux départ qu’on a le sentiment d’assister. Ou à un impossible retour. Une femme, la narratrice, stationne et stagne, erre et traîne dans une improbable banlieue, un quartier désaffecté qui a quelque chose d’interlope et d’inquiétant. Elle est là en transit, en suspens, comme dans l’antichambre de sa vie qu’elle ne parvient pas à étreindre et pas davantage à rejoindre.

Elle élit domicile dans un hôtel plus ou moins miteux, désertique, tenu par un homme énigmatique, taciturne, aux allures de vautour. Cet homme, qui cristallise bientôt les interrogations et les préoccupations de la narratrice, répond au nom de Pascuale et notre voyageuse de fortune engage avec lui un échange apparemment sommaire et cependant substantiel. Pascuale figure, aux yeux de l’héroïne, une épure, tant par son physique radicalisé que par sa parole, rare et percutante. Il sera le passeur qui la mènera, non loin, à un autre lieu évidé, un autre hôtel dans lequel elle côtoiera, plus longuement cette fois, une certaine Gracia. Gracia est une vieille femme déjà presque spectrale mais douée de bienveillance qui tient lieu d’intendante. Avec elle, les rapports de la narratrice seront des plus sommaires si bien qu’elle se prendra à regretter la profondeur, certes opaque, indéchiffrable, mais irréfutable de sa brève collusion avec Pascuale.

Notre échappée fuit on ne sait qui, cherche on ne sait quoi. Frappée de sa sidération, de tétanie et stationnée dans ce lieu lugubre qui tient du purgatoire, elle fait l’expérience de la vacuité pure, de la dépossession, du dénuement total.

Hormis une lointaine amie qui, par voie épistolaire, la somme d’en finir avec ses assommantes tergiversations, rien ni personne ne semble la rappeler, le rattacher à une vie antérieure. Nulle instance, nul impératif, aucun être qui la réclame et semble se languir d’elle.

Cette femme qui tranche tous les liens, récuse toute pantomime et geste sociale, tout acte de présence imposé et se refuse à endosser le moindre rôle, figure une espèce d’étrangère camusienne. Elle est ainsi l’allégorie de la plus radicale solitude.

Pourtant, peu à peu, une frêle voie se fraie et elle semble s’acclimater doucement à ce semblant de vie qu’elle a élue.

Sur la fin, la fugace rencontre avec le très jeune et apollinien Manuel (dont la trop parfaite beauté d’abord la rebute) parvient même à l’électriser et ravive dans sa chair la morsure du désir.

Et le retour invoqué se fera, finalement, quand elle se sera rechargée des forces et de l’élan nécessaires. L'écriture est aussi nette, tranchée, que le propos est indécis. Un texte des plus déroutants, tout ensemble rêche, râpeux et aussi suspendu et inassignable que son objet.

BH 09/13


"Autour de ma mère" de Catherine Safonoff  (Zoé)

Catherine Safonoff écrit et rend trait pour trait, mot uppercuté pour choc et percussion, mot et ombre portée pour impact et coup. Elle ne ménage ni n’aménage, elle écrit, implacable, comme on crie ou comme on cogne. Comme on frappe à coups redoublés. Et pourtant, dans son monde écrit, rien n’est symétrique et les mots disent, quand ils ne les compensent pas, toutes les parts manquantes.

Dans cet opus, Catherine Safonoff procède comme à l’ordinaire : de façon apparemment buissonnière et vagabonde mais en fait, secrètement et fortement architecturée, selon un ordre et une logique organiques qui répondent à une nécessité interne. Tout s’agence sur le fil des émotions récurrentes et fluctuantes de la narratrice ou chroniqueuse. Emotions qui sont chaque fois, et à la fois, ni tout à fait autres ni tout à fait les mêmes.

La narratrice se débat vaillamment entre les deux pointes d’un compas qui circonscrit sa vie. La circonférence du cercle varie en fonction des jours. L’un des pôles est Léonie, sa mère, frappée d’Alzheimer, au bord de la mort et qui requiert ses soins quasi quotidiens. L’autre point névralgique est un dénommé Nektarios (souvent réduit à sa seule et majuscule initiale N.), amour grec perdu et narcotrafiquant qui la hante, qui l’occupe toute au point de lui avoir inspiré son précédent ouvrage : « Au Nord du capitaine ». Entre ces deux foyers incendiaires, trait enflammé et vive flèche pointée, notre narratrice oscille, navigue à vue, mais invite à en découdre avec elle et avec les aspérités du quotidien.

Elle vacille devant sa mère puis se reprend, elle chancelle au souvenir de N. puis se ressaisit. Elle amadoue son désarroi et sa solitude à coups de lectures, de jardinage, de soins prodigués à son petit-fils. Elle se cramponne au seul amour qui subsiste : celui que lui inspirent ses filles. Elle recourt aux rares amitiés pérennes, s’émerveille de rencontres fortuites et poétiques.

Entre les va-et-vient fantasmatiques de la conscience souvent affolée, désaiguillée et ceux qui mènent notre chroniqueuse de son domicile à celui de sa mère désamarrée, il est aussi question de brusques accès de désespérance, de séismes mentaux ou orages cérébraux qui établissent notre héroïne parmi les élus maudits, ceux atteints du « haut mal ».  Et il est question de l’écriture qui « sépare dans le temps qu’on essaye pourtant de se réconcilier avec le monde » et d’un cours de grec qui scande les semaines et les saisons et qui tisse avec l’homme en allé et tant aimé un lien secret, crypté, insu. Et ce drôle de journal intime-extime est aussi un recel de rebondissements et péripéties puisque la narratrice, défiant l’échec par un acte conjuratoire, va, par deux fois rejoindre le fuyard adoré sur son île. Par jusqu’au-boutisme ou comme pour vérifier jusqu’à la lie son erreur car si lui était tout à fait son genre, elle n'était pas du tout le sien…

Et ces ultimes tête-à-tête et mises au jour auront, de fait, pour effet de lui procurer un certain apaisement.

Livre d’heures, heures partagées ou arrachées, hymne éperdu à l’amour enfui, double tentative conjuratoire (conjurer le sort amoureux contraire et conjurer la mort imminente de la mère), ce texte est tour à tour craché dans l’urgence, hérissé de pointes aiguës, ou comme balbutié et baguenaudé au fil de détours songeurs.

C’est un précieux viatique pour qui prise la vie et les humains et rien n’en dit plus magnifiquement la teneur que cette phrase, emblématique : « J’écris sur l’amour personnel, j’écris sur l’unique entreprise qui vaille au monde, aimer quelqu’un ».

BH 06/13

"La part d’Esmé" de Catherine Safonoff (L’Age d’homme)

Esmé est une drôle de zigue qui appréhende la vie en zigzags et surtout jamais de façon rectiligne. C’est une jeune femme oblique qui jette sur les êtres et les choses un regard jamais attendu. Esmé semble baguenauder et marauder sa vie avec légèreté, espièglerie mais tout de suite on perçoit une sourde inquiétude, une gravité qui imprègne le texte et dément cette impression première.

Esmé virevolte et vibrionne mais ses cabrioles sont étrangement veinées de gris et de mélancolie comme si elle aimantait la limaille cachée de l’existence, toutes les peines secrètes et les sanglots contenus. En vérité Esmé crapahute, vivote et peine entre les éboulements, sur des sentes ordinaires, dont le caractère ordinaire, précisément,, la mortifie car ce n’est pas ce chemin-là qui miroitait dans ses rêves enluminés et elle s’accommode mal du principe de réalité.

Elle vacille, titube, tâche cependant d’aller droit et ferme et de tenir le cap entre son ingrat office de serveuse et sa vie intime chahutée laquelle comprend un mari depuis longtemps remisé, rebaptisé Canouillle, deux fillettes turbulentes, d’une contrariante imprévisibilité, et un amant, Lancelot par qui elle fut ravie et qui lui a tout ravi. A commencer par les chatoyants rêves d’échappement qu’il lui inspirait.

Esmé catalyse et révèle tout ce qui dysfonctionne au sein d’un quotidien apparemment banal et qui pourrait être parfaitement orthonormé. Elle est le sismographe hypersensible, et d’une redoutable précision, de tous les infimes déraillements, de tout ce qui, imperceptiblement, dérape, dévie, tout ce qui fore des trous dans l’âme et dans la texture labile des choses. Esmé est, essentiellement, une intranquille, un baromètre affolé, une boussole qui indique, non le nord, mais l’inquiétude toujours à vif, l’alerte imminente.

Esmé pourrait passer pour une femme sans qualités et elle se vit comme telle. Elle se débat, s’empêtre dans toutes les réalités, toutes les composantes qui constituent sa vie. Elle n’adhère pas à son métier qui souvent l’assomme et l’exaspère, elle peine à assumer, à habiter pleinement sa maternité même si ses filles la surprennent et souvent l’émerveillent et si elle a quitté le dénommé Canouille, son époux légitime et chercheur, universitaire de haut vol, pour l’un de ses jeunes et britanniques épigones renommé (en raison de l’aura puissamment romanesque et mythique que diffusait le début de la passion) Lancelot, ce n’est pas pour autant qu’elle s’accomplit auprès de ce chevalier de fortune, lequel en raison de ses nombreuses insuffisances et défaillances la laisse bientôt, et sur tous les plans, sur sa faim.

Esmé est en délicatesse avec les espaces cloisonnés de sa vie mais aussi avec le temps, avec les strates temporelles qui se percutent, se télescopent et sèment en elle la confusion. Souvent elle rêve, par exemple, sans oser se l’avouer tout à fait, de retrouver le bien-être, la sécurité, qu’elle goûtait auprès de Canouille. Sa singularité, son charme, qui sautent aux yeux du lecteur, lui échappent car elle échoue à coïncider avec son centre, à trouver son axe, son étoile fixe et en cela, elle devient paradigmatique, anti-héroïne emblématique de notre époque désaxée.

Tant il est vrai que chacun d’entre nous porte en effet en lui sa " part d’Esmé ".

BH 01/13

"Le mineur et le canari" de Catherine Safonoff (Zoé)

On entre dans le livre de Catherine Safonoff presque comme chez soi : c’est ouvert, accueillant, chaleureux, coloré, débordant de vie et de fantaisie  et il s’y déploie une parole qui est une parole amie.

Mais rien n’est simple et uni pour autant. Catherine Safonoff est une irrégulière qui écrit irrégulièrement. Sa prose vagabonde et fantasque nous entraîne le long des chemins de traverse, des chemins creux et aussi dans les fondrières. Et si rien ne va de soi, si le cours de l’écriture est heurté, imprévisible, c’est qu’il épouse au plus près celui, si diablement inventif, de la vie.

Le fil rouge du récit est prétendument la relation de la narratrice avec son analyste le dénommé (et renommé pour le besoin de la cause et l’écran fictif) docteur Ursus duquel elle n’hésite pas, à 70 ans passés, à tomber éperdument amoureuse. Mais la vie qui, en Catherine Safonoff est si impérieuse, trépidante, martelante, tournante, tonnante, urgente et harcelante, cette vie labile et protéiforme ne tarde pas à déjouer le projet initial et à redistribuer les forces et les priorités.

Il n’y a rien, là, qui corresponde au cours paradigmatique de la romance, ni même au tracé de la cristallisation amoureuse sans espoir et sans retour.

Ce qu’on nous donne à voir, à lire, c’est le fouillis, le merveilleux désordre, les embardées, les estocades et les fusantes et mortifiantes et divines surprises de l'existence brute et crue que Catherine Safonoff excelle à recueillir, à célébrer dans sa crépitante diversité.

Tout de suite, les pages se peuplent de présences amies, aimées. Ce sont les êtres que la narratrice côtoie, qui font irruption dans sa vie ou dans ses souvenirs et qui tarabustent, par à-coups, sa mémoire.

Il y a, bien sûr, la proche parentèle, la descendance (enfants et petits-enfants avec qui les rapports semblent harmonieux) mais aussi les ascendants, les parents morts dont l’aura traumatique continue de funestement se diffuser. Il y a les amis aussi, qui tiennent une place de choix, une place considérable, les enfants des autres avec qui la narratrice s’essaie à quelque chose qui s’apparente à du soutien scolaire, les anciens amants, les hommes aimés et disparus mais évoqués avec une grande acuité et puis des figures inclassables qui tiennent du vagabond, du parasite et envers qui la narratrice nourrit des sentiments mélangés : elle est attachée à eux mais ils l’insupportent, elle ne dédaigne ni ne déteste leurs impromptues effractions mais s’exaspère qu’ils l’assaillent sans préavis et sans égards pour ses propres impératifs. Elle les tolère et souhaite ardemment être délivrée d’eux, elle balance, envers eux, entre une attitude charitable, aimante et un hérissement constant. Et cette ambivalence et ces relations singulières qu’elle entretient, sont à l’image de Catherine Safonoff tout entière : c’est, elle aussi, une inclassable, une orageuse, une ductile en qui tout s’imprime, une véloce, une infiniment mobile, une extravagante au grand cœur.

Elle a aussi de cruciaux et récurrents démêlés avec son jardin !

Elle est donc sous l’empire dudit docteur Ursus dont se dégagent peu à peu la silhouette élégante, le visage hiératique, imperturbable et dont la parole est lapidaire et parfois péremptoire mais ce qui se dégage surtout, c’est l’autoportrait de la narratrice en femme aux prises avec son âge, avec son entourage, avec l’écriture et avec les lectures (nombreuses et variées) qui la percutent, avec tout ce qui lui travaille et lui remue les tripes.

C’est, lit-on, un état persistant, incrusté, de dépression qui a mené Catherine Safonoff, ou son double écrivant chez le fameux Ursus, or ce qui frappe, à la lecture de cette chronique (qui court sur près d’une année), c’est à quel point (et en dépit de toutes les traverses), la vie bat, bataille et fuse en elle de toutes parts et en tous sens.

Une lecture infiniment attachante, roborative et jubilatoire.

 BH 09/12

              

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