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J.D. Salinger par Livres-Addict.fr
"Franny et Zooey" de J.D. Salinger
Ce sont des esprits
feux-follets. Trop rapides, alertes et agiles pour les frêles corps qui
les abritent. Ce sont des corps au sortir de l'adolescence affligés
d'une intellignece si aiguë qu'elle en devient invalidante. Ils
perçoivent le monde à travers des prismes si complexes qu'ils leur
donnent le tournis. Ce sont Franny et Zooey, ils sont frères et soeur,
cadets d'une famille de sept enfants, tous dotés d'une intelligence
surdimensionnée, tous sélectionnés durant leur enfance pour s'illustrer
avec brio dans l'émission radiophonique "Un enfant avisé", émission
rassemblant des jeunes surdoués applelés à répondre à des questions
réputées insolubles.
Zooey a 25 ans, il est comédien, jeune premier prometteur. Franny a 20 ans, elle est étudiante. Ils sont tous deux (et seuls à l'être parmi les sept enfants Glass) d'une beauté remarquable, d'une complexion fine et racée. Franny et Zooey ont reçu, de leurs deux frères les plus âgés, Seymour et Buddy, une éducation à forte teneur spirituelle. Mais la fratrie est amputée, la famille est en deuil des deux fils, Seymour, suicidé et Walt mort à la guerre. Leur absence (celle de Seymour surtout) ombre l'âme des deux cadets.
Le récit est composé de deux parties, deux longues nouvelles qui se répondent. Dans l'une et l'autre Franny traverse une crise spirituelle d'une grande intensité. Dans le premier volet, elle est confrontée à Lane son petit ami qui l'a emmenée dîner au restaurant et dans le second elle affronte un adversaire autrement plus redoutable en la personne de Zooey.
Face à Lane, perplexe et désemparé, Franny est en proie à un trouble violent qui l'empêche d'avaler la moindre bouchée et dont elle tente d'expliquer la cause à son ami : elle vit sous l'empire d'un livre édifiant, écrit par un homme simple, un pèlerin qui s'essaie à mettre en pratique l'un des enseignements de Jésus lequel consiste à "prier toujours". Ledit pèlerin enquête, il interroge moultes personnes, il cherche à savoir comment faire pour être toujours en état de prière. Franny est agitée par la même quête. Elle s'en ouvre brutalement, maladroitement au prauvre Lane, un garçon plutôt pragmatique qui n'y comprend goutte et s'efforce de faire diversion.
Dans la seconde partie, on se trouve dans la maison familiale des deux prodiges et l'on fait connaissance avec Zooey, jeune ludion, trublion de l'esprit et du verbe, contraint par son intelligence supersonique à faire assaut de réparties incisives autant que de détournements discursifs brillantissimes.
D'abord occupé dans la salle de bains à faire ses ablutions, il est débusqué par sa mère, femme de facture et de bon sens également solides, qui vient lui faire part des inquiétudes que lui inspire Franny, recluse et liquéfiée dans sa chambre depuis son retour au bercail, consumée par sa transe mystique, farouchement opposée à toute perspective de se lever et d'absorber la moindre nourriture. S'ensuit un échange désopilant au cours duquel Zooey, facétieux au possible, traitant sa mère avec une familière et fameuse désinvolture (il l'appelle "ma grosse"), la crible de répliques drôlissimes et décalées. Sous la causticité, la verve et la virtuosité du propos, on sent cependant percer la tendresse et l'inquiétude partagées.
Enfin, on assiste au face à face entre le frère et la soeur. Franny est défaite et Zooey s'emploie d'abord, à démonter pièce par pièce le fragile édifice qui tient lieu de viatique spirituel à sa soeur. Il la convainc d'imposture, affirme qu'elle se fourvoie, vitupère son prétendu désir de sainteté au motif qu'elle se montre parfaitement méprisante envers les médiocres qui l'entourent. Elle s'acharne particulièrement sur l'un de ses professeurs, parangon de mesquinerie à ses yeux ce en quoi elle succombe à un leurre, soutient Zooey, car elle devrait s'en tenir à haïr ce que l'homme représente et non pas le détester dans son entier. Bref, Zooey ne lâche pas sa soeur, il se montre implacable et l'on se demande dans quelle mesure il n'est pas agi par le souvenir de Seymour dont la carrière spirituelle a culminé dans le suicide... Peut-être la hantise de voir le drame se reproduire détermine-t-elle la dureté du jeunne homme. Franny vacille sous les coups portés, elle se décompose graduellement puis s'effondre. Mais dans un ultime retournement, Zooey la délivrera, laissant entrevoir qu'il partage à sa manière la quête de transcendance qui anime la jeune fille. Il évoque ouvertement Seymour, rappelant à Franny que leur frère et maître faisait sans cesse allusion à un mystérieux personnage qu'il nommait "la grosse dame" et qui sur qui tout disciple du Christ doit préférentiellement porter son regard, appeler son indulgence, voire faire pleuvoir son amour. "Vois-tu, conclut Zooey, "la grosse dame", je crois que c'est chacun d'entre nous, y compris et surtout le plus misérable, "la grosse dame", c'est ton professeur honni..."... Et c'est ainsi que Franny fut sauvée...
La chute est époustouflante d'humanité, de beauté, elle est l'allégorique illustration de la quête de Franny, elle est la preuve que le divin s'incarne et l'on comprend soudain qu'on est face à une oeuvre littéraire emblématique puisqu'il s'agit d'un brûlant précipité d'amour fraternel ...
Sous des dehors badins et mutins, c'est bouleversant. Un pur joyau !
BH 07/08