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 Jean Stein par Livres-Addict.fr 

"Edie" de Jean Stein (Christian Bourgois)

image_sedgwick_1C'est l'histoire d'une luxueuse déchéance. La trajectoire météorique d'une gamine pourrie de dons, comblée de possessions matérielles, socialement favorisée à outrance. Tout est donné à profusion et cependant le socle fondateur fait défaut. C'est l'histoire d'une plaie béante qui fleurit sur un sol trop riche en névroses, chargé de ferments toxiques. C'est la minutieuse mise en lumière d'une chute, d'une dissolution, d'une existence misérable et percluse de mières sur fond d'opulence apparente et de triomphe.

C'est la vie lézardée, fracturée d'Edie Sedgwick qui nous est contée par ses proches et moins proches. C'est une biographie d'un genre tout à fait particulier. L'auteur, plutôt que de rédiger une biographie classique à partir des propos recueillis, a choisi de transcrire la matière brute de ces mêmes paroles sans la gauchir, sans l'infléchir par une réécriture et une interprétation personnelles. Il en résulte une impression de vie claquante, d'instantanéité, qui nous portent très loin des relents de formol et de naphtaline lesquels imprègnent un certain nombre d'ouvrages du même type. On est dans la vie giflante, cinglante, dans l'implacable brutalité de la parole cueillie à sa source.

Edie Sedgwick était la 7ème des 8 enfants Sedgwick. Elle est née d'un père autocrate, dictatorial, outrancier, outrageusement imbu de sa personne et d'une mère ombre de l'ombre du roi-soleil. Son père, mortifié d'avoir été, dans sa prime jeunesse, stigmatisé pour son manque de virilité, fou de rage de n'avoir pu, pour cause d'asthme, s'illustrer dans une carrière militaire, se convertit en athlète fou de son corps, vouant un culte à toutes les démonstrations de puissance masculine. De même; travaillé par des ambitions artistiques avortées, il a développé envers tout ce qui ressortissait à l'art, une passion des plus ambivalentes. Devenu administrateur d'un ranch californien et possesseur d'une vaste propriété, il a fait une floppée d'enfants vécus comme autant de coups de force, comme un prolongement de lui-même, surgeons exhibés et instrumentalisés autant que malmenés. Edie fut l'enfant chérie, choyée et abusée de cet homme flamboyant, tardivement déclaré psychotique. Elle était gracieuse, ravissante, douée d'une sensibilité vibrante et d'un magnétisme inné qui saisissait tous ceux qui la rencontraient. Mais elle était aussi fléchée , fissurée en son centre, sans assise solide qui lui permette de faire fleurir ses dons.

Grandie dans un milieu familial anxiogène et autarcique, fragilisée sinon détruite par sa relation toxique avec son père, Edie développa très tôt des troubles qui, loin de se résorber, s'aggravèrent avec le temps. Consumée dès l'adolescence par une irréductible anorexie, elle succomba aussi, avec une véritable frénésie, aux sirènes de la drogue, de toutes les drogues disponibles et consommables. Elle était réputée pour son instabilité d'humeur et pour sa parfaite incapacité à gérer, fût-ce l'aspect le plus élémentaire, le plus mineur, de la vie quotidienne.

Tous les témoignages concordent pourtant pour affirmer qu'elle débordait (tout comme son père) d'une énergie contagieuse et possédait un charisme irrésistible. Nombreuses sont les personnes interrogées déclarant que l'atmosphère d'une pièce se modifiait, se chargeait d'électricité, aussitôt qu'elle y faisait son apparition. A la fin de l'adolescence, elle fut frappée, coup sur coup, par le suicide de deux de ses frères, tous deux d'une beauté renversante et d'une grande sensibilité et tous deux démolis par le pater omnipotens (l'un pour homosexualité imparfaitement refoulée, l'autre pour avoir été estampillé "raté"). Avant de succomber, les deux frères irréguliers connurent les joies de l'internement camisolé. Edie elle-même goûta à plusieurs reprises aux déllices de la réclusion psychiatrique, décret parental oblige.

Partie à New-York, elle s'essaya à la sculpture, art dans lequel elle excella avec une  rapidité et une facilité déconcertantes. Mais, happée par le tourbillonnaire milieu artistique en vogue, elle délaissa bientôt toute pratique personnelle. Sa vie connut une accélération et une intensification prodigieuses à partir de sa rencontre avec Andy Warhol. Vampirisée par le futur grand homme, propulsée égérie, auréolée d'une gloire incontestée, objet d'unanime fasciantion, elle devint l'emblème d'une époque, l'archétype de ce peut être une vie de pur artifice, toute entière vouée à la représentation. Son "âge d'or", la période de son triomphe absolu marqua l'amorce d'une dégringolade qui ne connut de fin qu'avec sa mort prématurée, à l'âge de 28 ans. Elle fut, et c'était son drame, l'objet de l'art et des artistes, elle n'en fût jamais le sujet, le maître d'oeuvre. Sa vie s'édifia autour d'un vide abyssal.

Un parcours élevé au rang de mythe pour son caractère aussi incandescentque tragique. Une chronique sans équivalent de l'effervescent milieu artistique new-yorkais des années 60.

Un ouvrage poignant et, de bout en bout, captivant.

BH 05/09

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