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 Brina Svit par Livres-Addict.fr 

"Petit éloge de la rupture" de Brina Svit (Folio Gallimard)

image_svitBrina Svit s'est lancée dans une étrange entreprise dont elle explique la genèse complexe, semée de tribulations, agitée de moult convulsions morales.

Il paraîtrait que (si toutefois nous sommes suffisamment centrés et équipés pour) nous allons toujours vers ce qui nous fait le plus peur. Question d'intensité mais aussi de sens à imprimer à notre terrestre trajectoire, rapport aussi au nécessaire dépassement. C'est donc parce qu'elle croyait redouter au-delà de tout la rupture que Brina Svit s'est attachée et attaquée à ce motif dont elle décline les différentes figures explorant les configurations qu'elle a revêtues dans sa propre vie. Voici donc, selon Brina Svit la rupture amicale, familiale, mais aussi bien sûr (et au premier chef) linguistique puisque notre auteur écrit dans une langue qui ne lui est pas originaire, maternelle. La rupture amoureuse, elle, fera l'objet d'un traitement particulier puisqu'elle est abordée sur le mode de la fiction.

On a droit, d'abord, dans un long passage introductif, aux doutes qui étreignent notre écrivain avant qu'elle ne se collette avec son projet devenu sujet. Elle balance, hésite : ne ferait-elle pas mieux de célébrer la tendresse ainsi qu'on le lui a conseillé ? Mais la tendresse étant sa pente naturelle, il faut qu'elle s'en détourne pour avancer. Elle s'entretient avec son éditeur (Richard Millet, croqué à traits vifs, tendrement ironiques et qui apparaît plus vrai que nature). Toutes ces tribulations inaugurales, préambuliques, qui  nous font pénétrer aussi bien dans less arcanes de la création que dans l'intimité de l'auteur nous rendent cette dernière présente et attachante.

Elle ambitionne, pour ce présent ouvrage, d'expérimenter une forme nouvelle : les fragments, la narration éclatée. Elle va ainsi explorer, entrelaçant les motifs, non seulement les figures que revêt la rupture dans la vie mais aussi  la manière dont ces ruptures résonnent en elle, l'avivent, l'obligent à se déloger de ses ornières.

Il est donc question de son rapport fondamental, fondateur, à la langue, du passage de la langue maternelle à la langue d'adoption, la langue originelle étant répudiée au profit de la langue élue, le français dont la maîtrise encore imparfaite lui interdit toute virtuosité mais l'oblige, en revanche, à se tenir près de l'os, du noyau des choses. Et la contrainte se mue en exaltante exigence.

De même la rupture ou du moins les rapports conflictuels avec une mère acrimonieuse et tracassière ouvrent finalement sur une étrange douceur, une acceptation apaisée de l'autre.

A travers ces entrecroisements apparaît aussi la figure d'Elisabeth Barillé, romancière (sous la houlette, la gouverne du sieur Richard Millet elle aussi) et anciennement amie de Brina Svit. La rupture amicale, douce est finement traitée, l'investigation met en lumière tout ce que la proximité entre deux femmes écrivains peut receler de fiel jaloux, de rivalité embusquée, d'amertume lissée. Pourtant, là aussi, l'avenir reste ouvert, une chance est offerte à la relation rénovée, refondée, vécue en clairvoyance, en pleine conscience de ses ramifications vénéneuses.

Et il y a les messages goguenards et savoureux qui émaillent le texte et émanent de l'ami-amant virtuel Gil Courtemanche. Ce facétieux et vibrionnant auteur québécois bombarde Brina Svit de messages pleins de verve et de propositions déshonnêtes (le québécois flirte outrageusement avec notre narratrice, c'est dans un flirt brûlant qu'il l'entraîne). On ne sait ce qui prime de la séduction littéraire ou de la séduction amoureuse. Qoiqu'il en soit, la relation est vécue sur un mode ludique, joyeusement provocateur et Gil Courtemanche y brille de tous ses feux de ludion, de trublion, de zébulon inspiré jusqu'au jour où il propose à Brina Svit un rendez-vous torride à l'hôtel, rendez-vous qui serait suivi, dans l'instant, d'une rupture définitive.

Cette invitation semble coïncider, pour Gil Courtemanche, avec une rupture amoureuse réelle et vécue, pour le coup, sur un mode tragique. Dès lors, pointent des accents poignants et les messages du québécois s'imprègnent d'une mélancolie, d'une gravité inaccoutumées et touchantes.

La rupture amoureuse, narrée sur le mode fictif, constitue la partie la plus faible du texte, la présence de l'auteur y étant beaucoup moins prégnante.

Une exploration sensible, singulière, passionnée dans laquelle l'auteur s'engage de tout son être.

Où l'on constate que la rupture peut être un dénouement dans la double acception du terme...

BH 12/09

Retrouvez également l'interview de Brina Svit par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.

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