Livres-Addict.fr

 AccueilLivres | Films | Expositions | Sites internet

 Ingrid Thobois par Livres-Addict.fr

"Le plancher de Jeannot" d'Ingrid Thobois (Buchet-Chastel)

C'est un texte bref, brut, serré comme un coup de poing et assené comme tel.

C'est l'histoire d'une femme et d'une famille qui dévore ses enfants. C'est dans une famille paysanne du Béarn à l'époque de la guerre d'Algérie. Il y a Alexandre le père piégeur et saccageur, Joséphine la mère dite la glousse qui tout avale, tout rengorge, y compris les enfants qu'elle a expulsés. Il y a Simone la frondeuse, la belliqueuse, qui ne s'attarde pas au sein de cette famille massacreuse. Et puis Jean (Jeannot) et Paule. Jean est le bras armé de la glousse, l'héritier, le mâle chargé d'apporter compensation et réparation. A la mort d'Alexandre, perdu de trop de vie renversée, Jeannot est précipitamment rappelé d'Algérie : il avait rallié la guerre comme une aubaine et une échappée belle.

Mais voici qu'il est repris, la machine broyeuse le rattrape pour ne plus le lâcher. Paule nous livre le récitatif du drame qui alors se joue entre le trio vénéneux bientôt indissoluble, composé d'une entité indistincte. La glousse aspire ses enfants par un processus paradoxal : elle rétrécit, s'amenuise jusqu'à presque disparaître et Paule et Jean se greffent à elle à mesure. Ils forment ensemble une unité solipsiste qui générera le pire.

Cette histoire vraie nous est contée sur un mode incantatoire, obsessionnel, entêtant, et dans une langue cravachée qui regorge de trouvailles navrées.

C'est aussi beau que terrible.

BH 05/15


"Sollicciano" d'Ingrid Thobois (Zulma)

solliciano_thoboisC'est un texte brut qui gifle, cingle et arrache. Une menée abrasive qui arase au plus juste, au plus net. C'est une écriture qui, à la fois plonge dans l'embué, le vaporeux, et qui taille au plus tranchant et au plus vif.

Et c'est, par salves successives, le portrait d'une femme singulière et sensationnelle.

Cette femme porte, de façon très préméditée, très délibérée, le prénom chargé de Norma-Jean. Elle enseigne, avec une coupante ferveur, la philosophie à des étudiants magnétisés, enamourés voire pâmés. C'est une prof avec des allures et une aura fracassantes d'héroïne frappée par le sort, élue pour figurer dans la légende.

Elle apparaît donc comme source et réservoir de fantasmes mais il y a quelque chose en elle de flou, de mal fini qui empêche que la cristallisation ait lieu.

Norma-Jean, conçue et désignée pour être objet fantasmatique, est en fait le sujet des fantasmes qui traversent le texte. Et c'est à ses compositions internes, aux motifs obscurs qui la régissent que nous aurons à faire. Tout s'articule autour des ruses de l'inconscient, des chemins de traverse qu'emprunte l'esprit épris de vagabondages intrépides au point qu'il s'aventure dans les parages et peut-être dans le coeur de la folie. Le texte est construit selon un jeu de miroirs biseautés, le lecteur est constamment dérouté, débouté de l'attendu et de ses positions acquises.

Tous les éléments se présentent comme autant d'énigmes à percer, mais dont il n'est pas certain qu'elles recèlent un sens univoque.

Par exemple, Norma-Jean est dotée d'un ex-mari qui s'appelle Jean et il ne semble pas hasardeux que mari et femme partagent le même prénom. Ni que Jean ait été l'analyste de Norma-Jean. Entre eux se joue une partie des plus singulières, à la fois tendre, bizarrement amoureuse et d'une cruauté terrible, une cruauté qui prend des accents et un tour meurtriers. Une partie dont les tenants et les aboutissants semblent échapper aux protagonistes eux-mêmes et qui plonge ses racines loin en amont dans le terreau secret de Norma-Jean.

L'autre pôle de la vie de Norma-Jean se prénomme Marco. Ce fut l'un de ses étudiants et elle nourrit pour lui une affection trouble et si puissante qu'elle la conduit, métronomiquement, semaine après semaine, au parloir de la prison de Sollicciano où cet homme est détenu pour meurtre.

La chronologie est brouillée, les épisodes se bousculent, se percutent et, plutôt que de s'élucider les uns les autres, ils tendent souvent à accroître la nuit qui les fonde.

Chemin faisant, on apprend que l'alliance entre Jean et Norma-Jean fut fracturée par un événement aussi traumatique qu'apparemment inexplicable.

De même, on s'interroge longuement sur ce qui motive l'intérêt obsessionnel de Norma-Jean à l'endroit de Marco lequel traite sans ménagement et même malmène son entêtée interlocutrice.

Ingrid Thobois navigue en eaux troubles et entrelace motifs et pistes avec une science virtuose.

Et le tout est porté par une écriture d'une élégance aristocratique et d'une force tout à fait percutante.

Une plongée brillamment orchestrée dans les territoires de l'indécidable.

BH 12/11
             

   © Livres-Addict.fr - Tous droits réservés                                                                                                          | Accueil | Contact |