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Sylvain Trudel par Livres-Addict.fr
"Le souffle de l'Harmattan" de Sylvain Trudel (Les Allusifs)
Ce
roman se signale d'abords par sa langue. Dense, inventive, fleurie de
trouvailles inédites et saisissantes. C'est la langue de l'ailleurs, de
l'exil, une langue de haute solitude qui oblige à un surcroît de
créativité.
Celui qui la profère, c'est Hugues, un orphelin qui ne trouve pas dans sa famille d'accueil de répondant. Son étrangeté est trop flagrante que signalent à ses yeux en amande et aussi - surtout - son esprit en contant déplacement, elle ne s'accorde pas avec la placide bénignité de ses parents et de Jasmine et Benjamin, sa soeur et son frère (baptisé par lui les "demis" puisque rien ne saurait lui être donné en entier) par qui "le monde se reflète dans leurs souliers vernis"...
Son frère de coeur, le seul, l'élu, c'est Habéké, un déplacé lui aussi, un adopté riche de ses racines vivaces et de toute la terre africaine que charrient son imaginaire et les légendes qui l'irriguent.
Ensemble, ils vont franchir le gué, se soumettre à des épreuves initiatiques qu'ils orchestrent avec fougue. C'est le récit du passage, du basculement dans l'adolescence mais surtout pas dans l'âge adulte qui adultère toute poésie. Ils mènent de joyeuses et fracassantes équipées dans les bois, vivent des aventures dépenaillés, dynamités de partout au grand dam de leurs parents effarés. Mais dans le même temps qu'ils frottent leurs forces neuves au monde en véritables têtes brûlées, ils mènent aussi, sur un registre plus grave, une quête de leurs origines.
Inlassablement, Habéké invoque ses mânes, suscite le fantôme de son ancêtre auquel il veut se relier. Hugues, quant à lui, travaille à défaire les frêles liens qui l'unissent à sa famille adoptive, il l'affirme de plus en plus vigoureusement sa désolidarisation, sa déliaison. Les deux compères vivent dans la grande royauté de l'imaginaire, leurs équipages sont somptueux, leurs foulées longues comme dans les contes, leurs odyssées intrépides et qu'importe s'ils en reviennent souillés, crottés, piteux et assignés à des tâches réparatrices. Ils découvrent aussi l'acide brûlure, la douceur mordante des premiers émois. Une madonale Odile fait son apparition qui recueille tous leurs suffrages. Ils l'enrôlent dans leurs cavalcades, s'essayent à la conquérir en l'initiant à des transes pyromanes qui leur voudront quelques déboires hospitaliers ... Ils iront jusqu'à rendre la belle Odile complice de l'enlèvement qu'ils opèrent sur la personne de Nathalie, une jeune malade condamnée par la médecine qu'ils se promettent de sauver grâce à leurs sorcelleries conjuguées. Mais leurs pouvoirs trouveront dans cette poignante aventure leurs limites et le réel désenchanté imposera ses lois brutales ...
Un texte vibrant d'émotion, hanté par les grâces d'une enfance e péril, porteur d'une envoûtante étrangeté et porté par une écriture toute de sortilèges.
Un poème.
BH 03/08