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 Marina Tsvetaeva par Livres-Addict.fr 

"Les Carnets" de Marina Tsvetaeva (éd. des Syrtes)

marina_tsvetaevaQuand on entre dans les "Cartnets" de Marina Tsvetaeva, tout autre journal intime, et quelle que soit sa qualité, est instantanément frappé de discrédit et même tombe en poussière.

Car ces pages ne sont pas des pages, ces écrits ne sont pas des écrits.

C'est une expérience physique qui frappe au plexus et transperce au plus profond et laisse étourdi, le coeur gonflé, rempli et vacillant, dansant sous les étoiles.

Ce qui ressort de ces carnets, c'est que Marina est un monstre au sens mythologique du terme.

Elle est brûlante et glacée et les deux dans des proportions sidérantes et sidérales.

Elle est d'une sensibilité et d'une réceptivité folles, elle perçoit tout avec une acuité hors-normes, elle est l'exacerbation même et elle est, dans le même temps d'une puissance phénoménale, il y a en elle quelque chose d'indéracinable et d'absolument invicible.

Tout, chez elle, est poussé à l'extrème et atteint des dimensions surhumaines. Et, non seulement elle perçoit tout mais elle possède la faculté, géniale et rarissime, de mettre en mots l'indicible, de transcrire instantanément, et de la façon la plus pénétrante qui soit, ce que les autres ne perçoivet pas. Et ce que les autres ne perçoivent pas, elle le rend lisible, transmisissible, partageable et c'est cela que ces carnets sont une oeuvre à part entière et même un éblouissant chef-d'oeuvre.

Les carnets couvrent les années 1913 (Marina a 21 ans) en 1933. Marina écrit au jour le jour et même souvent plusieurs fois par jour. Elle énonce, consigne et recense le quotidien n'est jamais ordinaire. Tout toujours fuse, carbure et fulgure. Les premières années rendent compte de la relation stupéfiante que Marina tisse avecd Alia, sa fille aînée qui est une enfant elle-même stupéfiante. Donc les carnets, Marina note essentiellement, s'agissant d'Alia, son rapport génial avec la langue, ses propos absolument renversants, et qui sont ceux d'un pur poète. Et ce qui frappe, éblouit et perturbe tout ensemble, c'est que, dès sa plus tendre enfance, Alia érige sa mère en absolu, la peint en déesse, lui voue une passion dévorante et un culte des plus fervents et passe le plus clair de son temps à énoncer des hymnes à sa gloire. Ce que, bien entendu, Marina, assoiffée de grandiose et de dévotion totale, ne fera rien pour décourager. Il y a là, dans cette relation mère-fille qui s'élabore sous nos yeux, quelque chose de sublime autant que de monstrueux. Mais ce qui est purement monstrueux, c'est la manière dont Marina sacrifie sa fille cadette, Irina, la laissant mourir de faim au motif que la petite est une attardée pour qui elle n'a jamais éprouvé le moindre sentiment. Ce défaut d'intelligence et d'affinités condamne l'enfant et Marina ose l'écrire sans ciller.

Elle est comme ça, Marina, géniale et terrible, elle s'affranchit de toute catégorie morale, se situe par delà le bien et le mal, elle est le centre souverain qui édicte ses propres lois.

Ce qui la préoccupe au premier chef, ce sont les rapports qu'elle entretient avec son âme. Le dialogue avec elle-même est le plus fructueux car elle est seule à être à la hauteur de ses propres exigences.

Elle traverse la guerre et les avanies afférentes (faim, froid, privations) sans une plainte car elle dédaigne de s'arrêter aux contingences physiques (elle va même jusqu'à désirer, pour tremper et bronzer son âme) les atteintes de l'insomnie, les morsures du froid, de la faim. La seule faim qui importe à ses yeux étant celle de l'âme.

Seulement, elle a besoin de combustible et elle s'éprend donc régulièrement et férocement (son pâle mari Seroja étant d'abord au front et puis absent même quand présent) d'hommes qui que peu banals eux aussi, sont bien en peine d'étancher la soif de Marina et se dérobent à peu près continûment. 

Il faut lire cette oeuvre qui est un précipité fulgural, et, tout du long, un recueil de phrases qui sabrent, lapident, transpercent, phrases de pure foudre qui concilient les paradoxes les plus intenables, phrases qui sont toute de l'inédit et de l'inouï et qui sont toutes de verticalité et ne quittent jamais des hauteurs de beauté et de justesseà couper le souffle. 

Femme-monstre, oeuvre-monstre et monde.

BH 06/11

"Vivre dans le feu" de Marina Tsvetaeva (Robert Laffont)

Vivre dans le feu 1C'est une femme dont la vie fut une croisade incessante contre toute forme de médiocrité. Une engagée volontaire sur les chemins de la plus haute exigence. Une femme qui a brûlé ses vaisseaux sur l'autel de l'absolu.

Une forcenée du verbe. Une affamée d'amour. Une championne de la démesure. Une athlète de l'âme. Une russe, une vraie de vraie !

Aux prises avec les convulsions de son temps, elle a traversé drames historiques et intimes avec une hauteur de vue peu commune.

Ce libre, sismographe de son âme est un précipité de vie sous haute tension. C'est une compilation d'écrits intimes (lettres, carnets) qui nous la restituent entière.

Elle, c'est Marina Tsvetaeva, écrivain russe et poétesse géniale. Son destin fut tragique, son oeuvre une foudre étincelante. IL y eut, après la révolution d'octobre, l'exil à Prague puis à Paris, la mort de sa fille cadette, l'oeuvre édifiée dans l'indifférence générale, les agissements coupables de son mari, espion à la solde des communistes, le retour forcé en Union Soviétique, la déportation de sa fille aînée, la solitude aride puis l'isolement absolu, la misère, le désespoire et enfin le suicide.

vivre dans le feu 2Mais il y eut aussi l'ardeur effrénée de vivre et la nécessité fanatique de saisir la vie dans les mots. Il y eut surtout l'écriture et l'amour.

A son mari Sergueï aussi délicat, sensible que fanatiquement engagé en matière politique, l'unissait un amour profond mais plus fraternel et compassionnel que passionnel. Fragile, asexué, Sergueï était une eau trouble et fuyante. Marina était un torrent, un tumulte, une force qui va. Marina la vorace, l'insatiable développera toute sa vie des amours parallèles aussi enragées que chastes pour la plupart d'entre elles. A intervalles réguliers, elle est prise d'engouements furieux qui tout ensemble s'exacerbent et trouvent un exutoire dans des lettres de toute beauté. La plus célèbre de ces passions la liera simultanément à Pasternak et à Rilke, donnant lieu à la fameuse "correspondance à trois", pur joyau littéraire qui atteindra très vite des sommets d'intensité. Mais il s'agit là d'une radieuse exception : la plupart du temps les élus ne se montrent pas à la hauteur de l'exigence poétique et de la fureur amoureuse de Marina et l'amour, désubstantifié, meurt faute d'aliment car ce que brigue Marina, ce sont des rencontres d'âme à âme et elle ne tolère que les âmes en incandescence..

Avec sa fille aînée et plus tard avec son fils, Marina vivra également une relation exclusive, si étroite et dévorante qu'Ariadna, sa fille, restera sa vie entière assujettie à cette mère-goule. Ne se sentant, en revanche, aucune affinité avec sa fille cadette Irina, Marina la laissera, en période de pénurie, mourir de faim. Ainsi était-elle : entière, absolue jusqu'à la monstruosité.

Mais, toujours, c'est l'écriture qui emporte tout. L'écriture qui endigue, épingle, exalte, sauve. Bien que son oeuvre demeure honteusement ignorée de son vivant, Marina a très tôt conscience de sa valeur. Dès 1914 (elle a 22 ans) elle écrit en effet : "Je ne connais pas de femme plus talentueuse que moi en matière de poésie. - Il faudrait dire - d'être humain. [...]" Sa poésie est sublime, sa prose quotidienne éblouissante. Tout ce qu'elle consigne au fil des jours prend un relief saisissant, acquiert une présence palpable et scintillante. Elle est démiurge, elle a le don d'animer les êtres et les choses. Elle court-circuite les significations ordinaires, elle grandit tout. Elle soumet toute chose à une combustion qui la réinvente et la fait renaître dans une lumière d'incendue. Rien ni personne ne résiste à ses opérations alchimiques. Surtout, elle crée une langue sans pareille, une langue qui lui appartient en propre toute de syncopes, d'entrechocs, de brandons enflammés. Les rapports qu'elle établit, les métaphores qu'elle ose sont d'une vigueur et d'une nouveauté radicales. Chaque phrase est un choc, un coup de maître. Sa langue est de feu et les langues de feu sont descendues sur elles. Elle est bénie, elle est divine.

BH 03/08

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