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Ornela Vorpsi par Livres-Addict.fr

"Ci-gît l’amour fou" d’Ornela Vorpsi (Actes-Sud)

Ornela Vorpsi a une écriture sorcière et des dons de voyance, ou, du moins, d’exceptionnelle pénétration. Elle vogue, navigue, slalome, voltige entre le dehors et le dedans, entre réel et surréel avec une aisance déconcertante. Elle oscille, effectue le va-et-vient, efface les frontières avec une ébouriffante virtuosité.

Elle possède le rare pouvoir de se glisser non pas dans mais sous la peau de ses personnages.

Et voici qu’elle investit la vie secrète et pulsatile de Tamar. Tamar est une adolescente, translucide dont les contours mal finis ou mal définis ne mordent ni ne tranchent le réel. Elle traverse la vie, fantomale, sans jamais parvenir à déposer son empreinte. Elle décide donc d'épouser cette position d’embusquée, de spectatrice perpétuelle qui lui est imposée. Et elle rend compte, avec une précision vibrante, de ce à quoi elle assiste. Elle rend compte d’Esmé, sa mère, à qui l’unit un amour aussi puissant et incisif qu’étrange. Esmé qui la tyrannise, la ligote, l’incarcère dans d’iniques chantages cependant qu’elle affiche sans trêve sa prédilection pour Rafael, le petit frère génial, mort prématurément et qui proférait des phrases électriques autant que prophétiques. Elle rend compte aussi, Tamar, de Lali, sa tante au corps parfait, aux courbes affolantes, au corps attentatoire qui fait que les faveurs affluent à elle sans qu’elle ait jamais à rien solliciter. Et Tamar voudrait, bien sûr, posséder ce corps inscrit et ces pouvoirs irradiants. Ce corps inscrit dont elle cherche à percer le secret.

Mais Tamar est spécialement préoccupée par Dolfi, le fils de la voisine, Dolfi "aux yeux tout de stupeur ". Dolfi, dont la beauté foudroyante l’aimante sans pour autant éveiller sa passion. Elle n’aime pas Dolfi mais passe ses jours à pister et dépister les traces de sa beauté. Elle s’institue témoin privilégié de la beauté de Dolfi. Mais sa vie s’étoffe et s’enrichit vraiment lorsque surgit Manuela.

Manuela, bien que maigre et furtive, est comme une version mise au net et pleinement incarnée de Tamar. Manuela est ce que serait Tamar si elle n’était pas retranchée, évidée de l’intérieur, en proie à une forme étrange d’anesthésie. Car Dolfi a beau exercer une indubitable fascination sur Tamar et Tamar a beau éprouver le besoin irrépressible de vivre dans l’orbe de Dolfi, elle échoue à l’aimer. Or, Manuela, elle, est éperdument éprise de Dolfi. Mais Dolfi étant, lui aussi, un infirme de l’amour, une surface lisse, purement réfléchissante, Manuela ne parvient pas à se l’attacher décisivement et elle en meurt. Cette mort semble douer de sens la vie de Tamar qui, au travers et à partir d’elle, s’anime enfin. A sa manière, elle enquête, elle restitue la trajectoire de l’éperdue défunte, épouse ses raisons et ses perditions.

A travers le prisme si violemment signifiant de cette mort, Tamar s’emploie aussi à décrypter les événements qui la percutent, les sombres mystères qui l’environnent. Elle tente de pénétrer le sens de l’amour vorace d’Esmé, du narcissisme voluptueux de Lali, de la mort sidérante de Rafi, de la présence suspendue, détachée de Dolfi… Elle s’essaie à saisir le fondement de toutes les insolites formes d’amour dont elle est le témoin.

Un roman d’apprentissage vibratile, électrique, qui court-circuite toutes les figures imposées et attendues. Une merveille d’inventivité, un texte hérissé de surprises, frémissant de fantaisie, tout entier à fleur de peau et d’émotion.

Et la langue, sur le fil , en lisière d’abîme, sur la crête de l’impossible, réussit ce tour de force : elle est dansante, aérienne, plein de trous d’air et même souriante.

BH 10/12              

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