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Antoine Wauters par Livres-Addict.fr

"Nos mères" d'Antoine Wauters (Verdier)

Antoine Wauters est un poète vibrant qui nous offre ici un récit d'une frémissante sensibilité parcouru d'ondes sourdement sismiques. C'est un récit d'une saisissante étrangeté mais une étrangeté distillée au fil d'une narration si fluide qu'elle en devient presque insoupçonnable.

Le narrateur est un enfant profus appelé à naviguer entre plusieurs mères contre (dans toutes les acceptations du terme) lesquelles il s'édifie et se définit.

Le premier volet se déroule dans une ville quelconque du Proche-Orient. La guerre fait rage et, son père étant mort, l'enfant est percuté simultanément par les mitrailles répétées et par les tentatives d'encerclement, d'enveloppement strangulatoire que sa mère, chaque jour réitère. La mère apparaît, dès l'origine, sous sa forme plurielle. Elle est désignée non pas en tant que "ma mère" ni même "mes mères" mais "nos mères". Car l'enfant, qui se prénomme Jean, se vit lui-même sur le mode diffracté, démultiplié. Il est donc, tour à tour, Jean, Tarek, Charbel...en fonction des circonstances et de l'humeur du jour. Il se duplique, se multiplie pour faire front aux assauts maternels mais aussi pour mieux s'estomper et disparaître. Entre le trop suave amour maternel qui englue, les impacts armés et les râles du grand-père agonisant, Jean grandit chaotiquement. Ses seuls recours et remparts sont les mondes imaginaires parallèles et simultanés qu'il s'invente ainsi que Luc, jeune amoureuse idéale (et presque exclusivement idéelle), vert paradis rêvé.

Finalement, la guerre, la vie, la mort séparent Jean de sa mère inaugurale et il se retrouve propulsé dans la France provinciale et entre les bras de Sophie, mère adoptive et précipité de toutes les névroses occidentales. A ce double exil, l'adolescent opposera une fois de plus ses vies alternatives ainsi que les ressources illimitées de l'amour personnifié par l'exquise et lumineuse Alice.

 Une écriture tout à la fois sinueuse et abrupte, un texte déroutant qui oscille entre férocité amortie, coups frontaux et sensualité salvatrice.

BH 03/14


"Ali si on veut" de Ben Arès - Antoine Wauters (Cheyne éditeur)

C'est une langue de limon, de sulfures, de failles et brûlures. Une langue qui soulève, fouaille, brasse, bouillonne, broie et foisonne. Une écriture d'épines et de musc, de pavane et de castagne, de gouaille déferlée, de verve torrentueuse et de silence rêche.

Ce sont des instantanés qui acquièrent  un caractère intemporel. Des prélèvements, des prises, des rafles d'un présent dont l'épaisseur excède de loin la seule saisie de l'instant. Ce sont les moments d'Ali, jeune transfuge, nouvel Ulysse à la tête d'une transhumance, d'une odyssée de sève, de feu, de songes très charnus, très odorants. Ce sont des mots d'écorché, arrachés à la glèbe originelle, ce sont des phrases écourtées, écorcées, convulsées et contractées, catapultées en rafales.

C'est la vie brute et l'amour nu, toutes les virginités et les fêlures d'Ali crachées dru.

Ce sont des ruées, des pulsations fauves, des salves de sang cru.

C'est une langue qui se profère et s'invente à mesure que le corps s'élève et s'articule au monde.

Ainsi :

"Pulse du ventre l'esprit l'énergu-
mène, convulse, s'extirpe des torves,
des us, goulues collées aux boules, aux
briques réfractaires. Il disait : non aux
assises, sagas, mentons doubles et bon-
dieuseries. Il respire, Ali, à zéro pour
un oui, il expire, et son sol rougit, et
son goût pour le sel mûrit, prend vie."

"Je suis né sang de musc : sur ma lan-
gue se sont posés le poil du renard et
le souffle, la laine du mouton court
après l'avoir tondu, partagé entre tous
et mangé. Sur ma langue furent le grain
de pollen, la fourmi rouge tuée, aimée
en l'avalant. Ou mille choses rompues."

"Aux yeux de jais, de jade, si calme
qu'on la dit folle, un sommeil de vol.
can, au zénith un silence, là, dans l'éclat
du soleil à charrier l'eau des lits (Cen-
dre, sable et limon), à dresser le poil
fou de la barbe et du sexe en soufflant,
vêtue de son seul rire où d'autres joue-
raient des cils."

"Elle, oreille, frisson, rêveuse quand
les mots tombent : avec mon sexe fin,
l'épine, à ta bouche l'ortie blanche, tu
lies l'arc à la ronde tires la flèche de
mon plus doux soupir, tout ce que j'ai
au ventre et que les lèvres écartèlent, tra-
vaillent en très fins fils. Tu touches ce
qui déchire, m'écoutes dans ta langue."

BH 11/13

"Césarine de nuit" d'Antoine Wauters (Cheyne éditeur)

C'est un bloc météorique chu surchaque page. Un bloc de temps et de vie crue. Un bloc, aussi, coulée galvanique, de langue corsée, radiante, furieuse. Ce sont despersonnages comme des astres, un texte comme la trajectoire d'une comète.

Mais les astres sont veinés,irrigués de sombre. Les astres sont calcinés et, même, en voie de carbonisation. Ce sont des créatures animales et célestes et c'estpeut-être dans leur animalité que leur beauté culmine.

Et la nuit est celle qui tombesur deux enfants.

Ils sont deux, frère et s?ur,gémellaires et soudés sang à sang et chair à chair, bien plus loin et plusprofond qu'il n'est admis.

Il y a Césarine et sa rage nouée,chevillée au corps et ses jambes haut tenues, haut dressées et jetées dans lacohue et sous la mitraille, ses jambes d'affolant défi moulées et dénudées dansdes shorts trop courts. Et il y a Fabien, langoureux et rêveur, attaché auxlivres et aux poètes plutôt qu'à la lutte et que tout le monde voudra corrigerde ce travers.

Mais on les saisit d'abord loinde la prime enfance, dans les coups portés et la chair arrachée. Corps sangléset tabassés. Car il faut les mater et les dresser, il faut les neutraliser, cesdeux corps si essentiellement autres et inaliénables, ces corps qui contreviennent à l'ordre de l'usine et de la société.

Ce texte, tout de salves drues etde décharges électriques, rend compte de ces électrocutions continues, de cesviolences exercées sans relâche contre des corps dissidents, insurgés etqu'unit un lien non soluble dans l'ordre social.

Le corps de Césarine est de filet d'épée, d'éructation, de fulmination, de fureur et d'essentielle insubordination. C'est un corps fusant, acerbe, un corps tout d'âpretéet d'arêtes qui rage, fouaille, mord, déchire et cisaille. Corpsvulcanisé, corps de feu inassignable et qui, pour cela, sera brûlé. Et brûler le corpsprodigieux de Césarine, c'est encore lui rendre hommage, c'est encore reconnaître ses dons prodigieux d'ensorcellement.

La résistance qu'oppose Fabienaux tenants de la morale est tout autre. Elle est de forme faible en apparence,de force d'inertie. Mais elle n'en est pas moins irréfragable. Et c'est pourquoi on liera Fabien comme on a sanglé Césarine, de prison enasile, dans toutes les possibles maisons d'arrêt il sera attaché à la roue de safaute, de sa si véloce et incaptable immobilité.

A ces deux là, et puisqu'on les adisjoints, l'amour ne suffira pas. L'amour ne suffira plus pour faire pièce ettenir tête à toute les exactions, à toutes ces croix pour seulement deux corpscrucifiés.

Entre les rêves embués et lescoups assenés, le texte ménage beaucoup d'espaces, le texte fait beaucoup deplace au vide, aux chemins creux où éclosent les songes du lecteur.

Et la langue fourmilled'incessantes trouvailles, chaque page est un vivier fumant, pétaradant, chaquepage est un recel poignant, chaque page regorge de pépites, chaque page est unpoème saignant et cisaillant.

BH 09/12              

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