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 Laurence Werner David par Livres-Addict.fr

"Le roman de Thomas Lilienstein" de Laurence Werner David (Buchet-Chastel)

liliensteinC'est un texte ciselé très au-dessus du niveau de la mer, dans la tessiture d'une voix haut tenue, dans la matière même des songes ou presque.

C'est une quête menée au nom de l'amour mais qui prend tout de suite des allures de composition poétique et abstraite, d'élaboration raffinée et diffractée.

C'est un texte dédalesque mais aux accents beaucoup plus durassiens que borgésiens car sculpté dans une brumeuse indistinction.

C'est un torrent aménagé en jardin, une foudre apparemment quadrillée.

C'est donc le roman de Thomas Lilienstein tel qu'il est rêvé, et presque halluciné, par Mikel, la jeune femme qui l'aime et le cherche et le traque partout y compris quand il se trouve à ses côtés.

Car Thomas est un mystère et même une mosaïque d'énigmes à l'image des paysages qu'il dessine et architexture dans sa tête.

Pour extraire la figure de son amant embusquée dans les replis du passé, Mikel convoque des témoins dudit passé et c'est donc un cortège ou une cohorte de voix qui s'élèvent tour à tour (sans jamais former un choeur unanime) pour évoquer une figure, en effet, mais protéiforme et labile au possible et qui s'apparente bien plus à un profil perdu échappant un peu plus à mesure que les révélations surgissent.

Repliée à Khila, dans une attente avide, Mikel recueille les signes et les bribes éparses de témoignages. A défaut de toucher Thomas lui-même, elle approche ses proches et recense leurs paroles qui tournoient kaléidoscopiques.

Il y a Milan, l'alter ego inversé, dans la chaleur et contre le corps de qui Mikel tâche de reconfigurer les membres manquants de Thomas, Milan qui va sa propre vie, labyrinthique. Et il y a aussi Paula l'amie de Sylvia, la mère ogresse de Thomas. Il y a surtout Sylvia elle-même, paysagiste toute de démesure, qui conçoit des jardins fabuleux et improbables, Sylvia dans laquelle s'originent la vocation, la forme visible et la forme secrète, cryptée de Thomas, Sylvia, autre mystère granitique et concassé contre lequel Mikel se heurte et se fissure sans trêve.

Et il y a aussi, en grappes ou disséminés selon l'angle du regard, les amants de Sylvia, magnétisés et satellisés (et vassalisés) par elle qui, cependant, vit dans une intense, entière et inaliénable solitude. Il y a surtout Armand Precht (très jeune homme au nom d'ancêtre) qui fut l'élève puis l'amant de Sylvia, entre tous favori puis éconduit et qui nourrit rancoeur et fomente probablement vengeance. Armand Precht, amant tortueux, retors et redoutable et rival de Thomas dans l'amour de Sylvia.

Mais il y a Sylvia d'abord, figure hiératique, souveraine, d'une puissance dévorante qui rafle toute une part ou l'entièreté de Thomas et par qui Mikel se sent évincée et spoliée.

Et il y a le silence et l'absence de Thomas qui trouent le temps. L'absence qui polarise l'attente. L'absence, centre magnétique et méphitique autour duquel s'agrègent tous les fantasmes.

werner_davidEt, tout de suite, il n'y a pas de cloison étanche entre les temporalités qui fluent et confluent.

A la suite de Mikel, on plonge à pic, au fil d'une coulée vertigineuse mais, dans le même temps, on ne chute pas, on se maintient, en équilibre instable, sur le bord et dans l'écume mousseuse et moutonnante. Et c'est toute la paradoxale beauté de ce texte (et le tour de force de son auteur) que d'orchestrer, avec une adresse virtuose, ce double mouvement paradoxal : nous faire aller loin dedans les entrailles et, dans le même temps, nous tenir haut dans l'aérien, le céleste, l'arachnéen.

A mesure que le texte se déploie, il se ramifie, gagne en profondeur et en complexité. De nouveaux personnages surgissent, telle Rose-Hélène (au prénom si doucement euphonique) qui fut l'infortuné fiancée de Milan.

Laurence Werner David nous fait atteindre le coeur en nous promenant le long de toutes les périphéries.

Les jardins (hautement raffinés, magistralement conçus) de Sylvia Lilienstein sont suspendus. Dessous fermente et gronde le bouillant mystère des origines.

Laurence Werner David nous mène, à flanc d'abîme et en apesanteur, au fil d'une quête aussi rêveuse que cinglante et l'écriture, magnétique et enveloppante, parachève l'envoûtement.

BH 12/11

Retrouvez également l'interview de Laurence Werner David par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs.

© photo Laurence Werner David
           

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