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  Claire Wolniewicz par Livres-Addict.fr 

"Terre légère" de Claire Wolniewicz (Viviane Hamy)

image_terre_legereC'est une succession de voix qui prennent du volume, de l'ampleur et aussi s'affûtent, s'aiguisent comme autant d'instruments de précision à mesure que le texte évolue. C'est un voyage qui déclenche le mouvement et le roulis des âmes qui s'auscultent.

C'est une réunion de famille presque aléatoire, presque improvisée et qui se tient, suspendue dans l'espace, à l'autre bout du monde (toutes choses en principe peu compatibles avec la notion de réunion familiale...). L'instigateur en est Julien, jeune homme enjoué, entreprenant, versé dans le commerce, en poste provisoire à Hanoï et qui a pris l'initiative de réunir des membres de cette famille éclatée et désunie.

A Julien vont donc d'adjoindre Georges, son père, écrivain renommé, grand séducteur qui cumule gloires littéraires et conquêtes féminines. Aujourd'hui, séparé de ses deux épouses successives ainsi que de ses maîtresses qui furent en nombre pléthorique, ayant perdu une part de son éclat et de sa notoriété, il éprouve un vif sentiment de déshérence. Féru de mondanités, guettant en chaque convive ou interlocuteur potentiel un miroir flatteur, il s'accommode mal de la baisse de régime qui affecte désormais sa vie.

Il y a aussi Laure, fille aînée de Georges, enfant issue de son premier mariage (Julien étant, lui, le produit des secondes noces). Ancienne danseuse, divorcée, mère célibataire élevant avec ferveur son fils de 8 ans, elle a la quarantaine à la fois éclatante et défaite ou du moins altérée par la mélancolie. Elle ne s'est jamais remise de l'accident qui lui a coûté son titre de danseuse puis son mari. Elle a poussé droit et dur entre une mère dépressive et un père narcissique et négligent dont le féroce égoïsme l'écoeure et qu'elle  croit haïr de toute son âme. Elle entretient avec Julien, son demi-frère, des rapports chaleureux mais peu profonds. En mal d'amour, privée de l'armature de la danse, elle erre et se délite, ne sachant plus que faire d'elle-même.

Julien, quant à lui, paraît adhérer pleinement à l'existence, en goûter les sucs et les menus plaisirs, en honorer les beautés sans s'embarrasser de ce qui l'indispose. Il professe une indulgence universelle, il prodigue une générosité apparemment infatigable, il se prétend et se présume plein de mansuétude pour l'outrecuidance de son père et la rigidité de sa demi-soeur, il étend ses largesses à l'ensemble de la création. En réalité ce garçon est la proie d'une sourde angoisse qui le précipite dans une perpétuelle fuite en avant. Enfin, il y a Ferdinand, le fils de Laure (ainsi prénommé afin qu'il réponde à des syllabes fermes bien ancrées dans la terre et pour faire pièce à Georges lequel affubla ses enfants de prénoms outrageusement littéraires).

Ferdinand est la respiration du texte, il est le seul à appréhender les choses de façon inaltérée, avec une parfaite virginité du regard et une faculté d'émerveillement que rien, ou presque, n'entame.

A ce cénacle familial vont s'agréger, chemin faisant, Cho, une ravissante guide vietnamienne qui fera tourner les têtes et chavirer les coeurs ainsique Fabrice, compagnon de voyage fortuit, figure pasolinienne inversée, catalyseur et révélateur d'autant plus puissant qu'il est évidé de lui-même.

Au fil du périple vietnamien qui mène nos protagonistes sur des routes aventureuses, les masques vont bien sûr se fissurer mais surtout les rapports et les identités apparemment figés, vont se moduler voire se convertir, prenant les tours les plus inattendus.

Les voix se succèdent qui racontent tour à tour. Il y a les discours passéistes, compassé de Georges qui, sentencieux et même pontifiant, ressasse et longtemps se complait dans ses rancoeurs. Il y a la voix d'abord coupante de Laure mais qui s'assouplit à mesure et tente d'acquérir, au-delà de la danse, la vraie légèreté. Il y a le phrasé faussement désinvolte de Julien, la cadence affolée de son verbe travaillé par une verve et une gouaille de mascarade. Et puis il y a les éclats et les longues dérives rêveuses de Ferdinand qui n'entend pas marquer la frontière entre le réel qui le frappe de plein fouet et son imaginaire qui le requiert tout autant.

A la faveur du dépaysement, du déplacement, ces quatre-là vont se redécouvrir : se redécouvrir les uns les autres, se dévoiler et faire enfin connaissance avec leurs lumineuses ressources secrètes.

Une belle partition, sensible, prenante et d'une percutant justesse.

BH 05/09

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