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 Mary-Laure Zoss par Livres-Addict.fr

"Une syllabe, battant de bois" de Mary-Laure Zoss (Cheyne éditeur)

Mary-Laure Zoss est une redoutable ensorceleuse, une sorcière qui concocte son brouet addictif. Mais elle opère avec des armes tout à fait insolites. Elle séduit, envoûte à contre-courant, à rebrousse-poil, à coups de cravache, de fouettée d'orties, de sécateur. Ses phrases se hérissent et sabrent au fil d'escarpements et selon une progression sinueuse. Et cependant la magie, rêche et sans concession, opère et, très vite, on ne peut plus s'arracher à cette entêtante mélopée.

C'est une voix qui joue du dédoublement, qui s'adresse, au choix, au même ou à l'autre. Une voix qui intime, somme, profère des formules en forme de sentences mais qui sont tout sauf des poncifs.

La voix exhorte, une âme, un corps, indistinctement, un être claustral, incarcéré. Elle exhorte au dégagement, à l'affranchissement. Le drame prend, par moments, par accès, par souffles épiques qui soudain enflent, l'ampleur d'une tragédie. Surtout, ce qui constitue la singularité de l'action, c'est qu'elle est rivée et tout entière subordonnée au paysage où elle éclôt.

Et ce paysage est de ronces, d'aridité, de reliefs abrupts qu'il faut amadouer, de terre pelée qu'il faut apprivoiser. Il s'agit donc d'une traversée et d'une conversion à opérer. Et on suit la progression d'un être exproprié de lui-même qui s'efforce, au travers d'une âpre odyssée, de reprendre possession de sa vie.

L'évolution est pénible, poussive, fastidieuse et captivante. Parce que la langue, toute de foudroyants courts-circuits, nous cloue de saisissement.

Ainsi de l'incipit :

"Pars, érafle de tes jours le dedans, tes jours à mesure sous tes gestes déboîtés ; ton visage de plusieurs feuillets : tu n'en connais plus aucun, tu empaquettes l'ordinaire ; dans un no man's land faire mine d'être là, sur un filet de souffle déjà rétracté ; agrégé dans sa propre farine - ne la tourne plus dans celle du monde, quelque chose te réfrène vers l'intérieur, toi si singulier soudain - l'intérieur, s'il en est encore un ; plie bagage ; s'infliger telles désertions, dites, qui le voudrait ?"

ou :

"Quand plus rien de commun ; porte-toi au-devant malgré ; à même la plaie du monde, la pourriture aux coins, parmi cartons, sandales décousues, fanes et racines sur la chaussée flétrie, aurais-tu perdu, quasiment tout perdu ? de tes assemblages balancé les derniers étais ? à tirer du poussier terrestre le rudiment d'un pas, une rare syllabe qui se désintègre dans le recul des hautes pistes, combien de jours, hors pays, creusant la sécheresse du ciel ?"

ou encore :

"de ton pas un instant défais-toi, de sa frappe enraidie ; laisse rouler de ta nuque le gravier du zénith ; la lumière presse dans tes yeux ses chardons, pour une fois entends ; l'autre voix, entends-la, qui te délivre- ou presque - un laissez-passer ; si loin devant renonce à porter telle démesure ; à tenir tête au grain friable, à l'ocre entaille des cimes cesse de prétendre, comme au filament dévidé sur l'érosion par les bêtes ; laisse-toi rejoindre."

Une langue obscure, noueuse, riche d'humus multiples. Une poésie rauque, râpeuse, poignante, infiniment évocatrice.

BH 11/13

              

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