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 Pierre Cassou-Noguès par Livres-Addict.fr 

"L'hiver des Feltram" de Pierre Cassou-Noguès (éd. MF)

image_feltramPierre Cassou-Noguès est un roué et un vorace. Il ne peut se contenter de simplement écrire. Il faut qu'il nous manipule et nous égare et aussi qu'il se livre à de très sophistiquées démonstrations et expériences. Et tout cela, il le fait avec une évidente délectation et avec un non moins évident brio.

Il nous balade dans le bassin d'Arcachon et sur la surface moirée, miroitante d'une mer redoutable. L'intrigue avouée, "visible", parait plus que rectiligne. Mais peu à peu, on découvre des strates, des ramifications, des sédiments enfouis qui lancinent l'esprit et le lancent sur d'innombrables pistes d'interprétation. L'écritutre elle-même procède par coups de sonde, par interrogations ouvertes, elle se déploie sous forme de quête et d'enquête.

C'est l'histoire de deux frères, Bertrand et Philippe Feltram qui, accompagnés de Sylvie, la jeune femme de Bertrand se replient, pour cause de banqueroute, dans la maison familiale. C'est l'été, Bertrand passe ses journées reclus à faire ses comptes, à tenter de rétablir sa fortune enfuie cependant que Sylvie rissole sur la plage, nage, lit des romans policiers et que Philippe guette les vagues pour s'illustrer sur sa planche on se cloître au grenier, où il farfouille, exhumant des reliques, débusquant on ne sait quoi. Assez vite, on apprend que Philippe est un vague cousin, fantasque, de Bertrand et non pas son frère mais qu'il est traité comme tel depuis des décennies pour réparer le tort causé par le grand-père Feltram à sa défunte première femme et à la branche issue d'elle et, depuis, bafouée. Et tout se révèle progressivment ainsi, à double fond, crypté.

Les jours s'égrènent et la mer mue avec l'allongement des ombres, la chute et la décapitation de l'été. Car ce roman est peut-être avant tout celui de la mer et des rapports infectés qu'elle entretient avec les Feltram. Il court en effet sur eux des rumeurs étirées jusqu'à revêtir l'ampleur d'une légende, rumeurs complaisamment colportées par la commérante épouse du médecin. Il est dit et c'est élevé au rang d'axiome, que les Feltram sont mauvais nageurs, qu'ils ne sont pas solubles dans l'élément marin, pas compatibles avec une mer qui les vomit ou les engloutit. La notion de malédiction rôde et il est question de secrets de famille et, à nouveau de Louise, la première femme du grand-père Feltram, morte noyée dans de troubles circonstances.

La mer est perfide, la mer est traîtraisse et elle est redoutable pour ceux qui, tels les Feltram entretiennent un rapport litigieux avec elle. Bertrand est ombrageux, taciture et tourmenté, Philippe est plus léger, plus volatil mais ils sont marqués du même sceau.

Les apparences se craquellent, les fantômes surgissent, se surimpriment aux vivants s'avèrent receleurs de vies fantômales, fantastiques, insoupçonnées.

Sylvie, la blonde, belle, énigmatique et solitaire épouse dévoreuse de romans (policiers) est plus et autre qu'on ne croit. Philippe, convaincu de vol par son frère et dès lors proscrit, se précipite du haut de la falaise et est tenu pour mort. Il "ressuscite" pourtant miraculeusement et, absous d'une faute qu'il n'avait pas commise, entreprend une seconde vie qui est pour ainsi dire une vie parallèle.

Survient un étrange personnage commis à la garde et à la promenade du chien et qui se fait appeler Bel... Zébuth... Très vite son rôle va largement excèder ses fonctions officielles.

Bertrand, irrésistiblement happé par une mélancolie qui tourne à la manie et prend des tours insanes, est de plus en plus absent, au propre comme au figuré. Sylvie et Philippe se rapprochent dangeureusement. Ainsi, au fil des mois, la mer orchestre son indéchiffrable ballet.

Il y a des manoeuvres toutes vénales qui voisinent avec des phénomènes quasi surnaturels. Des réseaux, des ramifications innombrables apparaissent, des faisceaux de sens multiples se font jour. On est à la croisée du fantastique, du roman policier, égaré quelque part entre la quête et l'enquête. Mais ce qui, plus que tout surprend, requiert, intrigue et déroute, c'est le traitement , le regard, l'approche qui sont d'une singularité absolue.

Les personnages (surtout Sylvie et Philippe) sont des surfaces lisses qui semblent réverbérer l'énigme de la mer. On ne sait presque rien de ce qui les meut sauf quand il prend au narrateur la fantaisie de procéder à une incursion dans leur âme opaque. Car ce dernier est un personnage à part entière, observateur actif du drame. Tantôt il pénètre les pensées des protagonistes et tantôt il nous apprend qu'on n'en peut rien savoir.

L'écriture est plate, neutre, concise et sans saillie aucune, inquiétante comme une mer faussement étale. On est face à une véritable création, un récit qui ne ressemble à aucun autre, une expérience littéraire.

BH 11/09

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