Livres-Addict.fr

 AccueilLivres | Films | Expositions | Sites internet

 Wajdi Mouawad par Livres-Addict.fr

"Visage retrouvé" de Wajdi Mouawad (Actes Sud)

image_MouawadWajdi Mouawad entre en littérature avec une belle candeur et un culot mimétique de celui de Wahad, son narrateur adolescent. Ce qui est en jeu dans son premier roman qui flirte allégrement avec la fable, c'est "l'inquiétante étrangeté" qui s'empare du corps et de l'esprit lorsque l'adolescence advient et frappe comme un foudroiement.

Le roman est divisé en trois parties qui couvrent trois périodes distinctes de la vie du narrateur. Le récit s'ouvre classiquement sur l'enfance mais une enfance qui est perçue singulièrement, pas seulement à travers les sensations vierges, éclatantes de nouveauté mais aussi et surtout à travers le rapport qu'entretient le narrateur avec le temps. Le temps, dans l'enfance, est une succession d'éternités, d'éclats fixes qui s'incrustent dans la mémoire et cet état de porosité au monde et à l'autre, d'absolue présence à soi-même est particulièrement bien restitué. Le monde est riche de surprises mais il est stable, c'est la consicence de l'enfant qui est mobile, tournoyante, infiniment ouverte et son appétit de découvertes qui est sans limites.

Et puis un beau jour Wahad a 14 ans et les bases de son existence vacillent. C'est même un grand chancellement, un chambardement majeur. Le jour de ses 14 ans, en effet, le garçon vit une épiphanie inversée. De retour chez lui, au sein de sa famille, il ne reconnaît plus sa mère dont le visage, l'apparence, la texture intime sont devenus profondément autres. De brune et râblée qu'elle était, elle est devenue blonde et longiligne. Et que reste-t-il de fiable dans le monde si votre propre mère, source originelle par excellence et garante de toute chose, s'altère à ce point ? Si la mère a perdu son visage, c'est que le monde entier est défiguré, tout est dissous, avalé par l'étrangeté, tout s'engloutit dans un vertige intégral.

Un temps, l'adolescent tente de se familiariser avec ce nouveau monde, ce monde dérivant et grangrené de folie, il se persuade que c'est possible puisque nul, autour de lui semble s'aviser ni prendre acte de la monstrueuse métamorphose. Et c'est lui qu'on cherche à ramener à la raison. Lorsqu'il s'essaie à partager sa perplexité, à percer le mystère, on le houspille et le rabroue, on le taxe d'extravagance. Puisqu'il est le seul à voir, il ne peut demeurer. Alors il part, il taille la route, il ne peut demeurer. Alors il part, il taille la route, aidé par Colin, un condiscple qui lui offre un soutient inconditionnel et une admiration transie, saisi qu'il est tant par la singularité de Wahad que par sa témérité. Les adultes qui l'entourent sont obturés mais il est de radiantes exceptions auxquelles il rend hommage : Judith, sa jeune  et séduisante voisine qui l'inspire, lui offre l'hospitalité et réserve un accueil tendre à ses premiers émois et aussi monsieur Guettier, l'instituteur dont sont louées non pas les connaissances qu'il transmet mais la présence et l'écoute plénières qu'il accorde.

image_MouawadWahad, donc, part, rompt le tracé illusoirement rectiligne d'une vie éventrée en son centre. La seconde partie du récit intitulée "La beauté" relate la cavale du garçon, fuite effrénée émaillée de découvertes éblouies. Découverte, notamment, de Maya, frêle adolescente qui lui est une autre gémellaire, présence radiante mais plongée dans le mutisme depuis que son frère adoré a été englouti par la forêt. Grâce à Wahad, à sa troublante ressemblance avec ledit frère et à une énigmatique chimie entre les jeunes gens, Maya recouvrera la parole. Découverte aussi du grand-père de Maya, vieillard habité qui offrira à Wahad le viatique de quelques paroles essentielles.

Dans le troisième volet du texte, on retrouve Wahad âgé de 19 ans aux prises avec la mort de sa mère alors même qu'il éprouve la fragile et tremblante beauté du premier amour.

Une récit dont les accents de sincérité touchent et ne trompent pas. Une manière oblique et profondément originale d'aborder les mutations de l'adolescence et l'ambivalence des rapports familiaux. Des pages soufrées, soulevées d'un ample souffle lyrique, brûlées de belles incandescences.

On déplorera seulement les jurons incessants, les propos orduriers ("Merde", "Bordel", "Cul") que l'auteur croit bon (pour faire "jeune" ?) de faire tenir à Wahad et qui, loin de pimenter le texte, le grèvent et le tirent vers le bas.

BH 03/10

   © Livres-Addict.fr - Tous droits réservés                                                                                                          | Accueil | Contact |