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 James Salter par Livres-Addict.fr 

"Un bonheur parfait" de James Salter (L'Olivier)

image_salter_1C'est un texte tout de langueurs et de volutes pâles et rosées. Un texte comme tout en écharpes, en bandeaux veloutés de soleil couchant. Tout en douceurs pastel et en mélancolie contenue. Un texte trompeur. Traître et fourbe comme un marécage, surface étale mais enfoncement garanti et lame de fond abrasive.

Un texte qui, en un fabuleux et quasi imerceptible exercice de prestidigitation, retourne plusieurs fois les apparences. Un texte aux entrés innombrables, aux strates multiples, aux sédiments cachés qui affleurent sans cesse. Un texte de haut désespoir aux accents de madrigal.

Le titre est ironique, bien entendu, mais pas tant que ça au bout du compte.

Ils s'appellent Viri et Nedra. Lui est architecte, raffiné, intelligent et rêveur, elle sa profession c'est d'être belle à tomber, de rayonner, de séduire, de répandre nonchalamment sa grâce irrésistible.

Nedra organise des dîners intimes, cossus, calfeutrés auxquels elle convie quelques amis intimes. Son charme s'y distribue sans compter, son éclat y culmine. Viri et elle ont deux filles, Franca, belle et souveraine et Danny, complexe, mystérieuse, fascinante. Quand elle ne s'occupe pas de ses enfants, Nedra dort, rêve, lit, se prélasse, se préoccupe de son image, promène sa spendeur désoeuvrée à travers la ville. 

Nedra et Viri représentent pour leur proches le summun de l'accomplissement. Ils sont, dans le cocon préservé de leur vie luxueuse, le rêve américain incarné.

image_salter_2Pourtant, au détour des phrases, des éraflures apparaissent, d'infimes fêlures se font jour. Sous le vernis de perfection, la lèpre de l'insatisfaction ronge. Au travers de la délicate dentelure, oeuvrent les forces corrossives. Viri nourrit des rêves de grandeur inaccomplie. Enivré par une rencontre de fortune, il aura une liaison avec une femme obsédante. Nedra, à son tour prendra un amant puis un autre mais on sent qu'ellle est mue davantage par la peur du vide et la nécessité d' emplir ses jours que par la passion. Il y a aussi les roueries de l'existence, les brusques éboulements, les parcours accidentés. Une enfant qui meurt d'une chute de cheval, un ami défiguré, invalidé à la suite d'une agression barbare, la maladie et la disparition des parents, des proches... Mais tout cela est évoqué sur un mode feutré, les choses sont, la plupart du temps, à peine effleurées, laissées en suspens et elles ne trouvent leur résolution qu'au hasard d'une incidente quelque cent pages plus loin.

On assiste une succession de scènes badines mais, en leurs replis, grosses d'une sourde inquiétude, d'une angoisse diffuse et cependant térébrante, il plane sur ce texte une menace mortelle. Un luxe de détails, des traits saisis au vol, d'une précision vertigineuse, futiles et essentiels. Presque rien de ce qui entame la peau et pourtant tout ce qui court en-dessous. Tout est serti dans le nacre, tout est subil, patiné, soyeux et cependant écorché jusqu'à l'os.

Nedra et Viri divorceront. Elle croîtra et lui diminuera. Elle se lancera, grisée, à la conquête d'une liberté battante tandis que lui ira d'abord, terrassé, vers le recroquevillement. Ainsi que l'affirme un de leurs amis à Nedra "(...) n'importe quel couple qui se sépare - c'est comme une bûche qu'on fend. Les morceaux ne sont pas égaux. L'un d'eux contient le coeur (...) c'est toi qui as emporté la partie sacrée". Et pourtant les choses s'avéreront plus complexes que cet apparent contraste.

Les vies sont vaporeuses, comme soufflées de l'haleine d'un dieu lunaire, le style est de cristal, tout de cisèlements, d'ellipses, de phrases magnifiquement orfèvrées, tout semble traversé de légèreté, de fluidité, d'aissance et d'insouciance et pourtant le coeur se serre et l'âme se soulève car il est, entre les mots, une fine résille qui passe et qui suggère que tout court à tombeau ouvert vers une noirceur sans remède.

Les phrases posées sur les choses ou tendues à côté, transparentes comme du papier calque préfigurent la blancheur absolue et la cruauté totale de celles de Bret Easton Ellis.

Un chef-d'oeuvre, un régal.

BH 12/08.

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