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Les livres concernant Annemarie Schwarzenbach par Livres-Addict.fr 

"Les Amis de Bernhard" d'Annemarie Schwarzenbach (Phébus)

amis_bernhard_annemarie_schwarzenbachC'est un livre comme une verrerie délicatement ouvragée et recouverte d'un glacis précieux. C'est aussi un précis d'adolescence finissante. C'est si transparent qu'on est ébloui, c'est si transparent qu'on voit tout, qu'on croit tout pénétrer au premier regard, à la première lecture, mais la profondeur est là, qui affleure derrière les mots diaphanes.

C'est un ton, clair et posé, une voix prenante et qui déjà, sous des dehors cristallins, possède la capacité de diffuser dans le corps des ondes troubles et troublantes et des secrets subliminaux.

C'est une déambulation gracieuse cisaillée de brusques bifurcations, d'à-coups, de saccades mais pris dans un mouvement fluide et qui, étrangement, semblent aller de soi.

C'est une histoire de jeunesse dorée, de trajectoires nanties, de luxueux états d'âme.

Cela se passe dans les années 20, à l'époque où les tumultes romantiques n'étaient pas encore frappés de discrédit.

Les personnages ont une vingtaine d'années et ils aspirent, plus ou moins confusément, à l'amour, à la beauté, à une forme, et la plus esthétique possible, d'accomplissement.

Le récit se concentre d'abord sur Bernhard, un jeune pianiste qui, las de s'assoupir dans une torpide province allemande, part s'altérer et s'édifier à Paris.

Bernhard est un garçon doux, affables sans aspérités mais il forme, avec Gert et Inès, un trio bien plus étonnant et détonant qu'il ne l'est lui-même.

Gert est un dessinateur hérissé, urticant, torturé et Inès une beauté idéale, aussi fascinante que généreuse et qui diffuse un rayonnement continu. Entre ces trois-là circule une chaleur amoureuse sans nom, un tremblement, une vibration haute qui oscille entre l'amour et l'amitié. On va accompagner ces trois-là, et d'autres, dans leurs tribulations entre Paris, Berlin, Lugano et Florence.

A Paris, Bernhard qui s'est extrait du trio et qui 'est essentiellement aimable, suscite très vite l'intérêt et la sympathie de plusieurs personnes. Il se lie notamment avec Charles, un lycéen écorché vif qui semble la réplique, moins esthétique et moins douée, de Gert.

Bernhard rencontre aussi Gérald, un chirurgien singulier qui affiche une prédilection marquée pour les très jeunes gens et s'engoue de son jeu pianistique et de lui tout entier.

Et puis entrent en scène deux figures charismatiques qui vont infléchir aussi bien le cours du texte que celui des vies frémissantes qui nous occupent.

Il s'agit de Christina, une jeune femme sculpteur et de son frère Léon, dessinateur talentueux et promis à un brillant avenir. Christina comme Léon fascinent et magnétissent. Christina par sa force de conviction et d'indépendance et parce qu'elle regorge de dons, de puissance créatrice et Léon parce que, en véritable personnage pasolinien, il aimante, bouleverse et satellise sans jamais se donner à qui que ce soit.

Et le texte bascule encore dans une dernière partie consacrée à Gert et à ses errements passionnels.

Gert l'ombrageux qui, pour rencontrer le déjà mythique Léon, rallie Berlin où il tombe tout entier sous l'emprise éblouissante et vénéneuse du jeune dessinateur.

On a droit, alors, à des pages saisissantes et abrasives sur les ravages de la passion et sur les diverses manières dont elle tord le corps inexpert et l'âme assoiffée de Gert.

Mais toutes les convulsions sont filtrées et tamisées, tout est rapporté avec une blancheur et une sobriété admirables chez une si jeune romancière.

Tout semble vu à travers un prisme à la fois rêveur et soucieux de neutraliser tout débordement.

L'ensemble est empreint d'un idéalisme un peu naïf mais non moins touchant et il y a aussi des presciences et des fulgurances, quant aux abïmes de l'âme humaines et aux cruautés de l'amour; qui laissent pantois.

Et on reste confondu quand on songe qu'Annemarie Schwarzenbach n'était âgée que de 23 ans lorsqu'elle écrivit ce premier roman étrange et beau.

BH 02/12

Annemarie Schwarzenbach : une figure fascinante à découvrir

Deux livres hautement recommandables :

- "Annemarie S. ou les fuites éperdues" de Vinciane Moeschler aux Editions de l'Age d'Homme,

-"Elle, tant aimée" de Melinia G. Mazzucco aux Editions Flammarion..

Tous deux sont des biographies romancées d'un personnage d'exception, Annemarie Schwarzenbach. Le premier des deux ouvrages s'appuie sur des lettres authentiques, il est plus elliptique, plus poétique. Le second est plus ample, plus exhaustif, plus explicite. Les deux apportent un éclairage captivant sur une figure trop méconnue.

 
schwarzenbachQui était Annemarie Schwarzenbach ? Née en 1908 dans une famille de la haute bourgeoisie suisse, elle fut dès l'enfance divergente. Dotée d'un charme étrange, d'un physique androgyne mais affligée d'une santé fragile, elle vivait sur le fil d'un équilibre psychique instable. Tour à tour adorée, torturée puis reniée par une mère abusive qui masquait son homosexualité derrière une façade irréprochable, Annemarie Schwarzenbach aspirait à s'affranchir mais ne cessa jamais de quémander l'approbation et l'amour maternels. Elle restera toute sa vie proie et victime, cible privilégiée de cette mère idolâtrée. Or elle passera son temps à la mécontenter. Elle sera, aux yeux de sa famille, scandaleuse : elle deviendra ouvertement homosexuelle, elle se liera très étroitement avec Erika et Klaus, les enfants de Thomas Mann (elle éprouvera pour Erika une grande passion non payée de retour), elle s'engagera à leurs côtés dans la lutte antinazis alors que sa famille affiche ses accointances avec Hitler, elle sera une grande voyageuse et deviendra au gré de ses pérégrinations photographe, journaliste, archéologue mais par esprit d'indépendance, n'occupera jamais d'emploi fixe. En outre, elle goûtera aux paradis artificiels et sera étiquetée schizophrène.

Marginale, éprise de liberté, elle ne trouvera sa place nulle part et se propulsera d'exil en exil, de Paris (ou Roger Martin du Gard aura à son sujet ce mot célèbre Pourquoi promenez-vous ce visage d'ange inconsolable ?) à Berlin, de l'Amérique à la Perse, de l'Afghanistan au Congo ... Cette femme singulière, envoûtante, fut une pionnière ; aventurière à une époque où très peu de femmes avaient voyagé seules (elle fut la compagne d'Ella Maillart à l'occasion d'un voyage en Afghanistan), homosexuelle déclarée, très libre dans la façon dont elle conduisait sa vie, elle était rongée par un mal obscur et ne trouvait d'emploi supportable à son énergie que quand elle s'engageait dans l'écriture d'un livre (elle est l'auteur de romans et de récits de voyage). Dans l'écriture, elle s'habite enfin pleinement.

fuites eperduesElle inspire des passions très vives à des hommes (elle épousera  même fugitivement un diplomate français, homosexuel lui aussi qui lui déclarera qu'elle est le plus beau garçon qu'il ait jamais rencontré), des femmes (l'écrivain Carson Mc Cullers, notamment sera éperdument amoureuse d'elle et lui dédiera son célèbre Reflets dans un oeil d'or), des jeunes filles mais aucun amour ne suffira à étancher sa soif d'amour.

La fêlure est là qui la partage, elle est la proie de forces noires et un sourd désespoir l'habite presque continûment. Pour apaiser sa détresse, elle aura recours à l'opium, deviendra gravement toxicomane, connaîtra le cycle infernal des cures de désintoxication, des tentatives de suicides, de l'internement psychiatrique ...

On la taxera souvent d'égoïsme au motif qu'elle a toujours refusé de se plier aux codes et aux normes en vigueur mais ce qui apparaît quand on la lit, c'est qu'elle était au contraire attachée à dissoudre son ego dans l'écriture, sa prose est cristalline, épurée, d'une sobriété qui confine à l'austérité et tout ce qui est d'ordre personnel est comme vaporisé dans une quête de l'universel.

Annemarie Schwarzenbach était un être à part, pur, épris d'absolu, elle était tout entière une quête mais il y avait en elle un ressort cassé qui l'a empêchée d'atteindre son but.

Elle était très richement dotée, elle avait tout : beauté, intelligence, charme, talent, singularité, audace, esprit d'aventure ... mais elle était brisée et ces dons pléthoriques ne lui permirent pas de goûter au bonheur. Elle mourut accidentellement à 34 ans, en Suisse, des suites d'une chute de vélo. Sa mère brûla, dès après sa mort, toute sa correspondance et tous ses écrits intimes ...

Son décès prématuré ainsi que le caractère tragique de son destin exacerbent son aura iconique: elle cristallise la figure de l'écrivain maudit.

Son charme si puissant continue d'agir post mortem : elle fut redécouverte en 1987 et depuis on lui consacre articles, hommages, conférences, colloques, biographies ... En Suisse, elle est même devenue l'objet d'un culte !

Allez à sa rencontre !

BH 05/07

"La mort en Perse" d'Annemarie Schwarzenbach (Payot)

"La mort en Perse" Annemarie Schwarzenbach, Editions Petite Bibliothèque PAYOT.

La mort en Perse"La mort en Perse" est un livre étrange, atypique. A l'image de son auteur, il déconcerte et exerce un charme singulier. Au sens strict du terme, il déroute car le lecteur ne s'y retrouve jamais en terrain connu, il est contraint de sortir de ses ornières, de suppléer aux manques qui sont parfois des béances, de secouer la paresse qui le fait doucement ronronner lorsqu'il est en présence des codes livresques homologués.

Ce recueil de textes décousus (A. Schwarzenbach y évoque essentiellement la Perse mais aussi, au hasard d'une réminiscence, Moscou, de même qu'elle décrit, sans motif apparent, l'effondrement moral d'un être à bout d'espoir) tient à la fois du carnet de voyage (mais les contrées traversées et dépeintes le sont d'une manière trop impressionniste) et du journal intime (mais l'auteur se met en scène de manière trop occasionnelle et trop pudique, elle donne peu accès à son intimité).

En vérité, Annemarie Schwarzenbach parcourt le livre à la manière d'une âme errante, d'un souffle, d'un parfum à la fois tenace, prenant et erratique, elle passe, au fil des pages, présence diaphane, évanescente, elle semble à peine marquer le sol de ses pas. C'est un livre de climat, d'atmosphère bien plus qu'un récit de voyage et la Perse est le prétexte d'une exploration surtout intérieure.

Le livre est divisé en deux parties. Le second volet qui s'intitule "Une tentative d'amour'" est composé de façon beaucoup plus cohérente et suivie que le premier. Annemarie Schwarzenbach y raconte sa rencontre, à Téhéran, avec une ravissante adolescente turque prénommée Yalé. Par petites touches, elle évoque l'amour empêché, douloureux mais éblouissant et pur qu'elle a vécu avec cette jeune fille tuberculeuse et condamnée par son père qui la persécute et interdit même aux médecins de l'approcher. On pourra apprécier, à travers ce récit sobre mais poignant, toute la délicatesse d'A. Schwarzenbach ainsi que les qualités sensibles de son écriture.

BH 05/07

"La voie cruelle" d'Ella Maillart (Payot)

"La voie cruelle" Ella Maillart, Editions Petite Bibliothèque PAYOT.


la_voie_cruelle"La voie cruelle" ou Annemarie Schwarzenbach vue par Ella Maillart.

Ella Maillart : grande voyageuse, exploratrice infatigable, attachée à transcrire au plus près les impressions recueillies au cours de ses pérégrinations.

Dans le présent ouvrage, elle relate son voyage vers l'Afghanistan. Elle décrit avec minutie les paysages traversés, les personnages (souvent attachant et hauts en couleur) croisés et elle émaille le tout de digression fort didactiques, fort érudites qui retracent l'histoire des lieux parcourus.

Mais l'intérêt principal du livre réside (à mon sens) dans le portrait, disséminé à travers les pages, qu'elle brosse de sa compagne de voyage, Annemarie Schwarzenbach. A l'époque où débute le récit (en juin 1939), cette dernière relève d'une cure de désintoxication, elle est encore très faible mais armée d'une volonté farouche : elle tient absolument à accompagner Ella Maillart dans son voyage et elle met, pour ce faire, sa Ford toute neuve à sa disposition. Ella Maillart, d'abord réticente, se laisse fléchir. Les deux femmes sont très dissemblables. Ella, bien qu'elle avoue un goût prononcé pour le danger et les sensations fortes, est équilibrée, solide, sensée. Annemarie est diaphane, instable, proie de vertiges incontrôlables.

Le voyage est surtout l'occasion, le lieu d'un face à face entre deux personnalités antipodiques. Il se confond aussi, pour Ella, avec un défi : elle s'est secrètement juré d'arracher Annemarie à la drogue et à ses démons intimes. Elle est animée, envers sa compagne de voyage, de sentiments ambivalents : elle admire sa finesse, la noblesse de son âme, elle envie son intégrité, la ferveur qu'elle met tant dans son écriture que dans sa vie au risque de se consumer toute mais elle réprouve sa propension à cultiver une certaine noirceur et ce qu'elle considère comme une complaisance dans l'autodestruction. Ella Maillart est une femme profondément positive et pragmatique et quand elle flirte avec la métaphysique, c'est pour y trouver des préceptes sur lesquels régler sa vie. Elle subit le charme prenant d'Annemarie, elle se laisse envoûter par le mystère et la pureté qui se dégagent d'elle mais elle ne peut s'empêcher, tout au long du voyage, de lui dispenser conseils et recommandations destinés à la "redresser". Elle aspire à voir sa compagne se réformer. Elle se sent missionnée pour la sauver et c'est pourquoi elle multiplie les discours édifiants et les déclarations de pur bon sens. Elle croit avoir remporté la partie quand Annemarie Schwarzenbach lui avoue que, par crainte de son jugement, elle a trahi sa confiance, se cachant d'elle pour aller se droguer en secret.

L'amitié des deux femmes ne survivra pas à cette confession. Blessée dans son amour-propre, prise en flagrant délit d'impuissance, Elle Maillart se sépare d'Annemarie Schwarzenbach.

Pourtant, ce livre douloureux (écrit quelques années après la mort d'Annemarie Schwarzenbach) est avant tout un hommage. A maintes reprises, Elle Maillart y reconnaît, y souligne la supériorité d'Annemarie Schwarzenbach. Rarement, dit-elle, elle a rencontré une âme aussi peu maculée, un être à ce point radical, à ce point engagé dans sa quête : cette vie, bien que fracturée fut toute entière éprise de et dédiée à l'absolu.

BH 05/07


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