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Edith Templeton par Livres-Addict.fr
"Gordon" d'Edith Templeton (Robert Laffont)
C'est un livre vénéneux et
limpide à la fois. Un texte d'une sauvagerie contrôlée, cadenassée par
un style de haute tenue.
Un texte d'une grande modernité bien qu'il ait été publié dans les années 60 et relate des faits survenus à Londres dans les années de l'immédiat après-guerre. Un teste auto biographique d'une grande impudeur.
Soit Louisa, accorte et séduisante jeune femme de 28 ans occupant un poste dans l'armée. Elle fait un jour, dans un bar, la connaissance d'un homme étrange qui tout d'abord la rebute mais prend néanmoins un immédiat ascendant sur elle. Par le verbe et par la chair. Sans ambages, il se met à sonder ses ressorts les plus secrets, il la mitraille d'interrogations anxiogènes, lui fouaille l'âme sans ménagements de même qu'il la prend, sans avertissement préalable, en plein coeur de la forêt dans les conditions les plus inconfortables qui soient.
Interloquée, la jeune femme ne s'offusque cependant pas : elle pressent obscurément qu'elle a trouvé là son maître, quelqu'un qui répond à ses voeux secrets et les exauce. L'idéal compagnon pour arpenter les travées ou s'enfoncer dans les tranchées de l'inavouable.
Il se trouve que cet homme est psychiatre et il va pratiquer, sur la personne de son amante, une analyse aussi sauvage que peu orthodoxe. Les méthodes qu'il emploie sont pour le moins singulières : il brutalise la jeune femme, en paroles et en actes, exerce sur elle une pression et une torture psychologiques constantes, ne lui épargne rien, la criblant de questions retorses, d'une teneur perversement judicieuse et hautement décapante par lesquelles elle n'est pas seulement mise à nu mais proprement éventrée. Louisa est ainsi contrainte de revisiter ses relations troubles avec sa mère jalousée, son père absent, son prétendu grand amour qui s'avère n'être qu'un piètre substitut, une pâle réplique de la figure paternelle. Peu à peu, tous les mythes qui fondent la personnalité de la jeune femme sont pulvérisés. Elle est nue, livrée, entièrement remise entre les mains de son amant scrutateur et omnipotent.
Et chaque fois qu'ils font l'amour, ils franchissement un palier supplémentaire dans la violence et dans le rapport domination/sujétion. Louisa feint de s'insurger, elle injurie (parfois copieusement) son tortionnaire mais c'est purement formel. Elle n'aspire qu'à la reddition cependant que celui qui lui tient lieu de maître mâtine ses férocités de curieuses attentions désuètes et de risibles formules mièvres et infantilisantes. Ces intermèdes plus doux ne tempèrent pas la cruauté, ils l'accusent au contraire et la rendent plus grinçante. On suit, effaré, les développements de cette improbable histoire d'amour et cependant on est tenu de se rendre à l'évidence : il s'agit d'une grande histoire d'amour, les deux protagonistes se correspondent, ils coïncident même trop parfaitement. Le fatal point ...
Le plus surprenant, c'est le style qui corsète et lisse tous débridements, tous débordements. La narratrice restitue les étapes de l'implacable mécanisme à l'oeuvre avec une placide assurance, une fraîche insouciance. Ni l'effroi ni l'horreur ne percent, seulement la curiosité et le désir d'aller au bout des choses. Cette écriture qui traite le brûlant, le subversif avec froide et impavide détermination saisit. Elle parait neuve à juste titre car elle est sans pareille.
BH 03/08