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Emilie de Turckheim par Livres-Addict.fr
"Chute libre" d'Emilie de Turckheim (éd. du Rocher)
Voici
une fille culottée. C'est son deuxième livre et elle s'attaque au roman
noir sans craindre de s'affranchir des lois du genre. Elle avance en
roue libre, elle fonce allègrement et nous déroute au fil d'une
intrigue drôlement bien troussée.
Voici Jean, un homme lige, un homme ligoté. Son existence ne va pas de soi. Il se répand en remerciements inopportuns et en excuses intempestives. C'est pour son innocuité qu'il a été promu, dans le magazine qui l'emploi, au poste de rédacteur adjoint. Sa mère le persécute et sa femme, qu'il est entrain de quitter, l'humiliait abondamment. Plusieurs fois par semaine, il va se délester du poids de son non-être sur le divan de Vignot, un psychanalyste pour le moins loufoque.
Bien qu'il cumule les défaillances, Jean n'est pas en reste pour ce qui regarde les succès féminins : Arielle la fantasque secrétaire, Lichelle la candide, agent immobilier de son état sexuellement harcelée par son supérieur et même Agnès son exaspérante mais bandante épouse éconduite se pressent dans l'obscur réduit qu'il a élu en guise d'appartement pour vivre les premiers temps de son célibat. Rien, en effet, ne pouvait mieux s'accorder avec sa certitude de n'être rien que ce lugubre boyau tout d'exiguïté, sans fenêtres, invendable où il a élu domicile.
A priori l'immeuble, insalubre et définitivement sinistre, est vide en conséquence de quoi notre héros devrait au moins échapper à la disgrâce consistant à subir les nuisances sonores infligées par ses voisins. Or, des cris déchirants viennent régulièrement percer les tympans de Jean, laissant très nettement supposer que quelqu'un est séquestré et torturé à proximité de son propre cachot. N'écoutant que son courage, Jean se refuse obstinément à alerter les forces de l'ordre ...
Durant la même période, il est foudroyé par une rencontre fortuite, ou plutôt une apparition, une femme qu'il croise devant son immeuble et qu'il ne peut décrire autrement que comme "la femme de braise et de glacier". Un beau jour, il découvre presque malgré lui l'origine des cris : il s'agit en fait d'une troupe de sept danseurs qui répètent clandestinement dans cet immeuble désaffecté. Le principe qui préside à leurs étranges chorégraphies est celui du don total à travers la chute. Et les chutes sont aussi spectaculaires que périlleuses et douloureuses. Les danseurs risquent chaque fois de se rompre le cou et le reste. Personnages hors du commun, ils portent tous des prénoms à forte teneur symbolique. Il y a Absalon, le chef et Brac, Séral, Tamar, les deux jumeaux Camille et Camille et ... Lazare qui n'est autre que "la femme de braise et de glacier", le nombre d'or, la figure amoureuse idéale de Jean. Subjugué, ce dernier noue des relations troubles avec les membres de la troupe. Il ira de surprise en surprise. Un meurtre sera commis dont la résolution finale plongera le lecteur dans la stupéfaction ...
Mais comme toujours, ce qui importe c'est le style. Celui d'Emilie de Turckheim navigue, avec une surprenante liberté, dans les eaux et les registres les plus divers. Irrigué par une quête d'absolu, il se teinte de romantisme effréné mais s'offre aussi de nombreuses percées dans l'ironie féroce, la drôlerie incisive. L'écriture étonne et requiert : l'auteur ose des agencements inédits, elle crée des rapports insolites et un climat qui ne ressemble à rien de connu, preuve qu'on est face à un écrivain, un vrai.
BH 06/08
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