Livres-Addict.fr

 AccueilLivres | Films | Expositions | Sites internet

 Nathalie Constans par Livres-Addict.fr 

"Je suis pas la bête à manger" de Nathalie Constans, dessins Anya Belyat-Giunta (Les éditions du chemin de fer)

Voici un texte qui ne ressemble pas. Un texte qui ne plie pas, ne se subordonne pas, ne concède rien.  Un texte parfaitement franc-tireur et dissident mais qui, pourtant, n'a rien de vindicatif ni d'offensif : il s'élève, léger, aérien, presque vaporeux et souvent cocasse, dans un allègre battement d'ailes. C'est une partition à trois voix très distinctes qui, chacune, livre une version singulière de la situation et des événements.

Il y a d'abord No, jeune créature sauvage et féminine d'ascendance mythologique. Elle vivait retranchée, terrée dans la forêt jusqu'à la mort récente de ses grands-parents. Née comme de la dernière pluie, elle articule une langue plus que rudimentaire, elle éventre les lapins aussi férocement que le langage, elle est pourvue d'une queue spectaculaire et le trait ou plutôt le tabou culturel principal qu'elle a intégré, c'est qu'il lui faut dissimuler sa vulve. Elle est sommée ou surplombée par Ozer, ange-gardien naniforme aux allures farfadesques qui, affecté à sa surveillance, volette dans son voisinage et veille secrètement sur elle. Enfin, le duo est complété par Ubodie, spécimen résiduel et archétypal de l'adolescente enragée éprise de punkitude et rescapée de quelque catastrophe urbaine et nucléaire.

Sur cette trame et dans un décor post apocalyptique, Nathalie Constans lance ses personnages dans une odyssée saugrenue autant que jubilatoire. Elle alterne les voix, les monologues colorés et savoureux. Car ce fondement loufoque est surtout  prétexte à une exploration qui est une vraie refondation de la langue. Un brassage phénoménal.

No pratique une langue aussi rude, fruste que pétulante et diablement inventive, émaillée, à tout bout de champ, de "par contre" et "par exemple" aussi incongrus qu'intempestifs et qui sont du plus haut effet comique.

Ozer, lui, semble un lord égaré, droit issu de l'époque victorienne, car il module une langue des plus châtiées, souvent même affectée et surannée, entrecoupée d'interjections, d'exclamations et de tournures très anglaises.

Quant à Ubodie, elle éructe, fulmine, balance une langue de charretier toute de savoureuse verdeur, de verve crépitante et de pétaradante crudité.

Le choc constant entre ces trois registres, l'invention déroulée de trois fils langagiers piquetés de réjouissantes trouvailles constituent pour le lecteur de galvanisantes et voluptueuses surprises.

Et ce travail aussi minutieux que facétieux sur la langue prime sur l'intrigue, sur la rocambolesque équipée qui unit nos trois hurluberlus.

C'est donc, chose rare, de l'inouï qui éblouit avec humour et, qui plus est, un humour ravageur.

BH 01/14

"La reformation des imbéciles" de Nathalie Constans (éd du Chemin de fer)

image-constantNathalie Constans n'a pas froid aux yeux. Elle n'a pas peur des rapprochements insolites et incongrus, elle orchestre les collusions les plus inouïes, elle fait oeuvre surréaliste au sens plénier et original du terme.

Ce sont deux voix des confins qui s'élèvent, d'abord distantes et distinctes puis qui s'entrelacent et se mêlent. Un homme, une femme. Elle, c'est Kimi, elle est la petite-fille du guerrier apache Géronimo, seule survivante d'une lignée décimée par les guerres successives. Elle est sans âge, elle est intemporelle, elle est dans un isolement tragique et euphorique, elle danse nue sous le ciel nu, elle est sans dents mais pourvue de seins lolitéens, elle dit qu'elle a échoué car ses seins n'ont nourri personne, elle attend la quatrième geurre.

Lui, c'est James Newell Osterber Jr alias Iggy Pop venu se ressourcer sur les lieux de son enfance. La percussion a lieu à Detroit, en plein coeur d'un terrain vague que Kimi a élu pour y établir son campement et qui fut, anciennement, l'aire de jeu d'Iggy Pop. D'abord chacun, ignorant de l'autre, soliloque et rumine. Iggy s'interroge, se sonde pour établir si oui ou non, il désire rejoindre ses acolytes Ron et Scott et reformer avec eux la phalange des"Idiots" ces "fuckin' Stooges". Kimi, elle, cherche trace de ses semblables et de  ses ennemis, elle a besoin d'éprouver son identité, de la frotter à ceux, proches ou garants d'altérité, qui la définissent.

image-constantLorsqu'ils se repèrent et s'aperçoivent enfin, chacun apparait à l'autre comme une créature fabuleuse doublée d'une menace potentielle. Débute alors une lente et hypnotique chorégraphie d'apprivoisement. Chacun est supérieurement intrigué par l'autre. Kimi se demande si l'homme qu'elle découvre est un guerrier, un apache, car il en présente certains traits distinctifs (le torse nu, les cheveux longs, le corps marqué). Iggy, lui, est captivé par cette femme qui unit dans son corps habité les antipodes, les extrêmes irréconciables, l'enfance et la vieillesse, les origines et les fins dernières, l'aprêté et la douceur, les ondoiements du féminin et l'inflexibilité masculine. Elle est une figure de la complétude, de l'éternité. Ils s'appréhendent et se rapprochent à travers des objets, des substances (de la liqueur de maïs, des fûts d'huile, un marteau) qui revêtent un sens singulier pour chacun mais se font aussi les médiateurs d'un langage commun. Ces deux parangons et fleurons de la sauvagerie, se reconnaissent et s'adoptent mutuellement. Ces existences à forte teneur musicale, poétique, dissidente, confondues le temps d'une transe dansée, d'une danse entransée, vont diverger mais chacun aura puisé en l'autre la force de poursuivre sa route et d'épouser son destin inaliénable. 

Nathalie Constans invente une écriture faite d'arcs électriques et de courants alternatifs, une écriture visionnaire qui remonte aux sources d'un langage originel, une écriture qui marie, avec un bonheur singulier, verdeur langagière et fulgurances poétiques inouïes.

C'est l'ardeur brute, le pulsionnel, le tripal et aussi le céleste, le limpide, la simplicité cristalline, la beauté et la bonté divines.

Un récit qui a la grâce.

Un texte culotté, une jubilation, une urgence.

BH 06/09

photographie de Nathalie Constans par Raymond Loewenthal

Retrouvez également l'interview de Nathalie Constans par Bénédicte Heim sur le podcast des Contrebandiers éditeurs. 

   © Livres-Addict.fr - Tous droits réservés                                                                                                          | Accueil | Contact |