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 Marie Cosnay par Livres-Addict.fr

"La langue maternelle" de Marie Cosnay (Cheyne Editeur)

cosnay_maternelleOn entre dans ce texte par à-coups, par immersions brusques qui laissent au bord d’être sans souffle. C’est un texte de confins et d’enfouissement, de crêtes et d’escarpements. Un texte qui exige toujours davantage à mesure qu’on avance le long de son tracé abrasif et qu’on approche ses sources balbutiantes et cachées. Il n’y a pas de sens littéral et univoque. Tout est pluriel, infiniment ramifié, disséminé dans les strates sédimentées qui affleurent dans et entre les mots.

C’est le récit, syncopé, transversal et tout de chemins de traverse, d’un affranchissement. C’est une voix qui fuse, se fraie, s’extrait, se singularise, se décante et s’impose, vierge et détonante, au travers des écueils multiples qui se potentialisent : ceux d’une existence corsetée et ceux d’une langue éculée.

C’est une fille qui se dresse, téméraire, contre la loi brimante et mutilante du père. Et contre sa langue réductrice. Une fille qui ne veut s'assujettir à rien et qui subordonne le surgissement de l’amour à la mort du père.

On la voit au fil des étapes, heurtées, de cette mise au jour, de cette prise, violente, de liberté. La mort du père advient, les frontières étant poreuses, dans un entre-deux entre réalité et fantasmagorie, l’amour n’advient pas au mal.

On s’enfonce dans les taillis, les fourrés profonds, les enchevêtrements d’un maelström familial. Une famille qui a l’opacité, l’immobilisme et la sclérose pour règles et pour modes opératoires. Et très vite on saisit que l’évasion de la fille, son échappement décisif, s’effectue au travers des mots. De la langue, sauvage, inaliénable, qu’elle taille abruptement, comme on se dégage d’un guet-apens, au prix d’un tribut exorbitant, au prix du sang versé et du pesant de chair arrachée.

Et la voix monte et s’élève comme on taillade. Sans merci ni concession. Les phrases éclatent comme autant de détonations.

Et cette voix, toute de lyrisme sec, est d’une pureté, d’une radicalité et d’une nouveauté absolues.

Une rencontre saisissante.

BH 08/12

"A notre humanité" de Marie Cosnay (Quidam éditeur)

a-notre-humanite_conayC'est un texte somnambule et acéré. Un texte d'un onirisme fou et d'un réalisme tranchant. Un texte d'herbes folles, de feu follet, un texte dansé et cadencé et tenu, moins sur le mur des Fédérés que sur la crête la plus haute de la langue.

Un texte de pointes et de cals, de tourbe et d'éther, de secousses et de langueurs, de frénésie rêveuse et de prose bousculée qui se trempe aux sources les plus poétiques.

Un texte qui se scande au rythme des détonations, des corps dressés et des corps tombés.

C'est aussi un texte perclus de doutes et tissu de mystère, un texte soulevé par une essentielle interrogation et donc essentiellement inachevé et inachevable.

Un texte qui jusqu'au bout, et de bout en bout, semble chercher sa forme et sa destination.

Un texte sans évidence et sans transparence, un qui résiste, renâcle, rue, charrie, sarcle et fouette. La langue comme les motifs.

Au centre est la Commune qui fédère les hommes et les mots et, au coeur de la Commune, une femme, Emmy, vie chahutée, corps électrique, emblématique.

Il y a tous les témoins, hommes d'esprit et de lettres qui consignent les événements et en rendent comptent : Elisée Reclus, Louise Michel, Lissaragay, Vuillaume, Malen... Tous s'essaie à capter dans les mots la fureur qu'ils observent. Mais que peuvent les mots face à la charge insurrectionnelle des corps possédés par l'esprit de guerre ? Que peuvent les mots face aux corps possédés d'amour inversé ? On n'apprivoise ni ne domestique ces corps-là, on ne peut qu'inventorier les détonations et la tombée, la jonchée des corps criblés.

Il y a la minutieuse énumération des événements que cette saisie apparemment neutre pourrait neutraliser mais c'est tout le contraire qui se produit : l'écriture de Marie Cosnay possède des pouvoirs sorciers, elle s'inflitre subliminale et l'émotion lève au coeur des listes, entre les noms couchés le un papier comme le furent sur le sol les corps saignants, abattus.

Car un des talents de Marie Cosnay est d'activer la force évocatoire et la puissance émotionnelle là où on l'imaginerait jamais qu'elles se trouvent.

Et entre les recensements, donc, court aussi un corps, un vrai, un corps de femme, celui d'Emmy qui file son destin infiniment charnel et percuté. Emmy qui, sur les bords du canal le l'Ourcq, frotte son corps contre celui des Versaillais. Emmy dont le corps qui s'échauffe et rougeoie fait pendant aux corps écarlates jetés dans la battue, la mêlée sanglante. Emmy qui se livre à d'étranges dévotions. Emmy possédée, elle aussi, par le corps et l'ombre d'un homme, Tom, dont la présence et l'amour se dérobent continûment. Emmy possédée par une ascendance trouble, par la tutelle et l'ombre portée de deux mères qui sont soeurs. Emmy qui va son cours cahotant, toute donnée, toute livrée et à tous les pillages. Emmy, corps versé dans les fossés, esprit chancelé, coeur rayonnant du texte et âme dressée vers le ciel.

Emmy est le corps traversé et dédié de la Commune, sa chair pétrie et percée mais elle est aussi une voix, singulière, et sa psalmodie sourde sont de celles, entêtantes, persistantes, qui poursuivent longtemps.

Mais le motif de la Commune n'épuise pas le sens et la portée du texte : il y a, sans cesse, des bifurcations, des courts-circuits, des passerelles, des concordances, des téléscopages temporels et des feuilletages secrets qui se font jour.

Comme toujours chez Marie Cosnay, le texte est aussi, et peut-être d'abord, une interrogation sur le langage, sur ses ressources, ses chausse-trappes, ses échappées, ses limites, ses étoilements inespérés.

La langue est si pure, si dénudée, qu'elle en est coupante parfois et cependant elle remue profondément l'âme.

Au fil de la lecture, on est étreint par tant de terribles beautés.

On sort laminé et ébloui de ce texte qui ouvre sur l'inépuisable.

BH 03/12
 

"Adèle, la scène perdue" de Marie Cosnay (Cheyne éditeur)

C'est un livre de failles et de fractures. Un livre irrigué par une sourde violence.

adele_cosnayC'est une langue qui semble tissée de douceurs et de lenteurs. Mais c'est trompeur : c'est une écriture à bout portant, qui troue le corps et dont la force d'impact et la vitesse d'exécution agissent à retardement. La lame se plante dans l'embrumement d'un distillat trouble, d'une fausse anesthésie.

Le nu saille et la part dévolue à ce qui se dérobe est infinie.

L'écriture tourne autour de ce dont le dit ne peut rendre compte. Tout  est allusif et il y a, dans cette parole, des pans entiers, immenses, de silence qui régulent le souffle et l'amplifient. Les rares mots posés sont si vastes et ils sont agencés dans une langue si purement poétique qu'ils convoquent toutes les ressources de' l'imaginaire.

Le dénuement, ici, est d'une richesse foissonnante. Il est question d'un homme et d'une femme, Adèle et Matteo, couple archétypal et absolument singulier et d'un accident mortel.

Il est question de l'amour simultanément zénithal et foudroyé, de l'amour qui, dans le même temps, se fait et se défait.

Mais on est surtout face à la nudité totale de l'écrivain qui cherche son centre et sa voix sur la page.

L'auteur scrute l'énigme qui préside tant à l'apparition de l'homme dans sa vie qu'au foudroiement de l'amour. Pour ce faire, elle utilise le détour qui consiste à se projeter, elle sur Adèle et l'homme aimé sur Matteo.

Marie Cosnay se collette avec l'informulable et l'infigurable. Une scène hante la narratrice ou l'auteur (au jeu de qui est qui, on sait jamais, surtout ici). Et elle ne peut l'approcher qu'avec des mots qui cinglent et clouent et, dans le même temps, se détournent et ciblent à côté.

Celle qui parle à voix de lame, précise et syncopée, s'évertue à dire la beauté et le mystère d'un homme. D'un amour. Cet amour est de l'espèce terrible, de celles qui écorcent, dépècent. L'amour comme l'homme sont rétifs, cabrés, ils ne se laissent encager dans aucune formule usuelle.

C'est un livre sur l'impossiblité de dire le secret qui le fonde. Sur l'impossibilité de dire et d'aimer. L'impossibilité de dire l'amour pour un homme qui emplit les pages de sa défection et de son absence obsédante. Un homme qui gonfle le texte de son pesant de chair en allée et l'évide et le creuse à proportion.

Le subterfuge de la fiction (Adèle et Matteo et un troisième personnage, Stéphane Matthieu soudain surgi - peut-être pour l'euphonie du nom) n'opère pas car il est désigné comme tel (et donc dès lors torpillé) et il demeure inaccompli, sans cesse contredit par les interventions de l'auteur et ses coupes, ses doutes cisaillants.

Car tout, dans ce texte, est question, béance interrogative et tout demeunre soulevé, suspendu, irrésolu.

Et la beauté surgit à l'improviste, elle éclate dans les interstices, les ellipses, entre les mots qui frappent à l'aveugle pour dire l'inconnaissable et que l'autre aimé reste irrémédiablement autre et imprenable.

C'est, finalement, à la plus intime des cérémonies que nous convie Marie Cosnay : on assiste à l'avènement d'une oeuvre bouleversante de nudité.

BH 01/12

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